Avec Alban Lefranc, David Sillanoli, Augustin Gilmore, Arnaud Labory.
C’est toujours 9 rue Jacques Cœur à Bastoche et c’est toujours à partir de 19 h.
---------------------------------------
Le site Libr’Est permet de commander des livres pour ensuite aller les chercher dans l’une des librairies Libr’Est de votre choix ou bien de vous faire livrer par coursier – en vélo ! – en trois heures.
Il y a quelques jours, sur Facebook, Valery Poulet a posté le lien d’un billet fort intéressant sur Michel Journiac. Connaissant l’œuvre de cet artiste depuis une douzaine d’années – on en parlait beaucoup chez Al Dante à la fin des années 90 avec Vincent Labaume et Jean-Luc Moulène, intarissables sur le sujet ; Al Dante avait d’ailleurs publié à l’époque Le Tombeau de Michel Journiac [1] – l’aimant passionnément, j’avais l’impression que tout le monde avait conscience de son importance mais ce n’est apparemment pas le cas. Il est mort jeune – en 1995, à l’âge de soixante ans – laissant derrière lui en majorité des œuvres de performance, donc – pour parler le langage des marchands – peu commerciales. Ceci expliquerait cela.
Il est l’un des créateurs – certains disent le créateur, mais je ne suis pas historienne de l’art – de l’art corporel, le corps étant pour lui le médium principal, dans un rapport toujours violent aux codes sociaux, « une viande consciente socialisée ». Un corps plastique, un corps travesti, révélant les codes et les regards : « il n’y a pas de corps existant de façon absolue. Celui-ci est lié à toute une série de contextes, d’objets, vêtements, etc. À partir de là, je pense toute la question de mon travail. »[2]
Parmi mes œuvres préférées, l’Hommage à Freud, où Michel Journiac demande à ses parents, Robert et Renée, de poser, sans apprêt particulier, dans leur tenue ordinaire, pour ensuite s’habiller de leurs vêtements et se fondre dans le miroir de la ressemblance génétique.
Et 24 heures dans la vie d’une femme ordinaire où Michel Journiac mime la vie de la petite-bourgeoise, d’une fade banalité. Manifeste éminemment féministe, ou plutôt, humaniste. « Je n’avais pas la prétention en m’habillant en femme pendant 24 heures de mettre à nu toute la complexité de la condition féminine. Je voulais plutôt illustrer un certain nombre de situations, les expérimenter avec mon propre corps, amener le public à se poser des questions, montrer aux femmes combien elles sont piégées et aux hommes, ce qu’ils peuvent faire d’une femme. » [4]
Consulter également le site consacré à Michel Journiac.« Qu’y avait-il à gagner ?
— Avez-vous été dans un restaurant chinois ? Avez-vous mangé de la tortue ? Avez-vous été en Autriche ? Avez-vous été en Espagne ? Avez-vous été au Portugal ? Avez-vous été en Italie ? Avez-vous été à une première ? Avez-vous rencontré une vedette ? Avez-vous une caméra ? Avez-vous été filmée ? Avez-vous fait enregistrer votre voix ? Allez-vous sur la Côte ? Avez-vous une maison de famille ? Quelque part en France ? À défaut d’ancêtres, vous y pendrez des tableaux achetés au village suisse. Avez-vous un cardigan rouge ? Sur la neige au sport. Très décoratif. Dans le paysage. Ce petit point vert, jaune, bleu, c’est vous. Avez-vous une célébrité dans vos relations ? Recevez-vous un Directeur Général, un Président honoraire ? Faites-vous toujours attendre un peu. C’est mieux. Le hall est illuminé. Les amis sont là. Les autos s’alignent non loin. Et vous descendez l’escalier. Votre mari a-t-il une maîtresse ? Pas encore ? Alors, dit la dame, vous n’avez pas encore tout vu. Puis elle ferme son visage qu’elle avait ouvert.
— Elle a raison, reprend la voisine. Tout ce qu’elle énumère est indispensable. J’ai été dans un restaurant chinois. J’ai mangé de la tortue. J’ai été en Autriche. J’ai été au Portugal. J’ai été en Italie. J’ai été à une première. J’ai rencontré des vedettes. J’ai une caméra. J’ai été filmée. J’ai fait enregistrer ma voix. J’ai été sur la Côte. J’ai une maison de famille. J’ai acheté de vieux tableaux boulevard Ornano. C’est les ancêtres. J’ai un cardigan rouge. Sur la neige. Très décoratif. Ce petit point vermillon : c’est moi. Je porte très bien le fuseau. J’ai été photographiée. J’ai une célébrité dans mes relations. Je reçois un Directeur honoraire, un Président général. Je fais toujours attendre un peu. Les amis sont illuminés. Le hall s’impatiente. Les autos descendent l’avenue. Et je m’aligne une entrée remarquée. N’avez-vous pas d’escalier. C’est regrettable. Il faudra déménager. Mon mari a une maîtresse. Et j’en vois de toutes les couleurs.
Louise affolée.
Puis la dame referme son visage qu’elle avait ouvert.
— Je n’ai pas, bredouille Louise. Je n’ai pas mangé de la tortue. Je n’ai pas été au Portugal. Je n’ai pas rencontré d’étoiles. Je n’ai pas… Tout ce que je n’ai pas.
Puis elle referme son visage qu’elle avait ouvert.
Mais la dame poursuit, car dit-elle, j’en ai omis.
— Faites-vous du patin à glace ? Faites-vous du cheval ? Avez-vous un tennis de table ? Avez-vous un artiste dans la famille ? L’un de vos enfants est-il doué ? Avez-vous été en avion ?
Je crois que c’est tout. L’arsenal est au complet.
Suzy ajoute :
— Tu oublies inter-floral et le télé-siège. Allez-vous aux sports d’hiver ? Il faut rattraper le temps perdu, ma belle. S’il se peut. Elle a plusieurs hivers de retard en ce qui concerne le télé-siège et les sports, Louise.
— Vous n’aurez qu’à faire deux saisons par an, dit gentiment la blonde Suzy qui ne paraît pas méchante. C’est le premier pas qui coûte. Le tout est de s’y mettre. Vous en prendrez l’habitude. On s’y fait vite. C’est un tour (d’esprit) à prendre. On vous montrera. Sans parler de la pêche sous-marine.
Et pour tout le monde elle crie :
— Nous voyageons toujours en première. Et nous prenons des couchettes. C’est tellement mieux.
Est-ce que vous vous levez à midi ?
— Pour mon anniversaire, chante la dame, nous avons eu un lunch au fromage. Tout au fromage, Suzy. Vous ne le croiriez pas, Suzy. Vingt-huit sortes de fromages. N’avez-vous jamais fait cela, dit-elle en s’adressant à Louise.
Vingt-huit sortes de fromages.
Louise bégaye :
— Non, non, non, vraiment…
Suzy l’a déjà fait. Elle est au courant. Elle crie :
— Rue d’Amsterdam. Voyons. N’avez-vous jamais été rue d’Amsterdam ?
Puis elle se penche pour réclamer à la fille de cuisine : de la hure, des fricandeaux et de la fourme.
— Passez-moi donc le pâté en croûte. Le munster. Le bleu. Et envoyez-moi le vin d’Alsace. À moins que ce soit d’Italie. Et ne traînez pas. »
Le Jeu de la Théorie a été inventé par Patrice Maniglier (le « Maître du jeu ») pour répondre à la question : « La forme-jeu peut-elle être introduite dans la pensée, à côté d’autres formes dans lesquelles se coule habituellement l’exercice théorique (conférence, dissertation, commentaires, colloques, etc.) et qu’a-t-on à gagner à cette introduction ? La forme-jeu permet-elle d’obtenir des effets de pensée que d’autres formes ne permettent pas d’obtenir ? La forme-jeu permet-elle de libérer les gens qui font profession de faire penser des servitudes de leur métier, qui si souvent le rendent absurde, en faisant d’eux des pantins agités dans une cave insonorisée du monde du spectacle ? »
Le thème de demain : « Moderne toi-même ! Qui faut-il punir de la modernité ? » Trois équipes débattront les « plus jamais ça », les « nous n’avons jamais été » et les « encore un effort ». Joueurs : Mark Alizart, Elie During, Bastien Gallet, Gianni Gastaldi, Marie Gil, Stéphane Legrand, Patrice Maniglier, Julia Peker, David Zerbib… Et peut-être quelques invités mystère.