dimanche, juillet 08, 2007

Mal aimé en chanson



... j'ai eu la chance d'avoir un professeur de français exceptionnel en première, au Lycée Giocante de Casabianca, à Bastia. (C’était en 1992-1993). Vraiment exceptionnel. Alexis Micheletti. Je lui dois une éternelle reconnaissance – de ces êtres qui decillent, aiguillent, révèlent. Une des personnes que je respecte le plus au monde. Car il a toujours (et encore aujourd’hui !) transmis avec passion, au milieu du grand n’importe quoi, du plein soleil, de l’appel de la plage et du maquis, des réformes de programme crétines, de l’amaigrissement accéléré des corpus, des préfectures qui explosent, du drame de Furiani, des bombes agricoles planquées dans la cantine, de pères assassinés dans de sombres règlements de comptes… son amour de la littérature. Qui est tout. Avec une tendre et ferme bienveillance pour ses élèves. Nous avions eu la chance, entre autres choses, d’étudier Alcools d’Apollinaire. Quelle claque à 17 ans ! Dont je me souviens aujourd’hui en écoutant La Chanson du mal-aimé par Léo Ferré – re-claque à 31 (merci Emmanuel T.).
Et puisque que c’est vous, je vous offre les éternels conseils, en aparté de fin de cours, de mon bien-aimé professeur : « ne te marie jamais et écoute Jimi Hendrix ». Mais il aurait ajouté avec un fin sourire « oh, ça vaut ce que ça vaut »…




La Chanson du Mal-aimé


à Paul Léautaud.

Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance
Du beau Phénix s'il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.


Un soir de demi-brume à Londres
Un voyou qui ressemblait à
Mon amour vint à ma rencontre
Et le regard qu'il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte

Je suivis ce mauvais garçon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hébreux moi Pharaon

Oue tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimée
Je suis le souverain d'Égypte
Sa soeur-épouse son armée
Si tu n'es pas l'amour unique

Au tournant d'une rue brûlant
De tous les feux de ses façades
Plaies du brouillard sanguinolent
Où se lamentaient les façades
Une femme lui ressemblant

C'était son regard d'inhumaine
La cicatrice à son cou nu
Sortit saoule d'une taverne
Au moment où je reconnus
La fausseté de l'amour même

Lorsqu'il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Près d'un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu'il revînt

L'époux royal de Sacontale
Las de vaincre se réjouit
Quand il la retrouva plus pâle
D'attente et d'amour yeux pâlis
Caressant sa gazelle mâle

J'ai pensé à ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux
Heurtant leurs ombres infidèles
Me rendirent si malheureux

Regrets sur quoi l'enfer se fonde
Qu'un ciel d'oubli s'ouvre à mes voeux
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre

J'ai hiverné dans mon passé
Revienne le soleil de Pâques
Pour chauffer un coeur plus glacé
Que les quarante de Sébaste
Moins que ma vie martyrisés

Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir

Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s'éloigne
Avec celle que j'ai perdue
L'année dernière en Allemagne
Et que je ne reverrai plus

Voie lactée ô soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nébuleuses

Je me souviens d'une autre année
C'était l'aube d'un jour d'avril
J'ai chanté ma joie bien-aimée
Chanté l'amour à voix virile
Au moment d'amour de l'année

Aucun commentaire: