« If you are sad, I’m your lady »
…// j’aime le silence. Je ne m'endors pas avant sept heures du matin. Je fais de la musique, je traîne… Je suis habité par le rêve, c'est mon état normal. Depuis que je suis môme, je n'ai pas de réalité. Je suis en suspension. //…// Évidemment, si Bevilacqua, mon album précédent, s'était vendu à 500 000 exemplaires, comme Les Mots bleus, au lieu de faire un flop – pas plus de 50 000 –, j'aurais été le roi. Je parle simplement de création, là. J'aurais pu changer d'espace, m'entourer d'un juke-box, de belles toiles… Question finances, j'ai toujours été sur le fil du rasoir. Il faudrait une pirouette dingue pour m'équilibrer. Mais je m'en fous //…// J'aime pas les clips, ça fige tout, l'imaginaire s'arrête de travailler. //…// « J'aime l'ennui », j'ai tout de suite adoré ce titre, je suis donc allé piocher des mots et j'ai fait ma petite synthèse. //…// Un petit gimmick inexplicable qui représente pour moi quelque chose par rapport à la femme… C'est lynchien et très sensuel, presque tout… puis j'ai trouvé l'idée de l'harmonium en hommage à Nico et ça s'est enregistré en une prise. Du pur hasard, ce que j'aime le plus. C'est pourquoi je dis toujours : « J'aime déchanter, pas chanter » //…// Je ne ferai de concerts que si j'ai la bonne lumière. Et en France, le problème, c'est qu'on n'a pas évolué du tout, on est nuls. Et moi, je ne veux pas de cette lumière de music-hall de merde, avec des verts atroces. Je veux que les lumières soient magiques, avec du parme, du violet. Et un son pur, avec des musiciens qui savent nuancer. //…// Même si je me produisais déjà à quinze ans dans l'arrière-salle d'un café appelé le Metropolis : je chantais du Elvis Presley en frappant le rythme sur une table, et j'avais sept personnes autour de moi tous les jours ! //…// Mais Aline… Je n'oublierai jamais dans quelles circonstances je l'ai enregistrée, entre midi et une heure et demie de l'après-midi, avant de retourner en cours. J'étais terrible. Pas un cancre, mais je dessinais toujours des femmes à poil et des bagnoles pendant les cours. Alors on me disait « Bevilacqua, vous pouvez aller faire un tour dans le parc si vous voulez… » //…// Sinon, forain, ça m'aurait bien plu aussi. J'ai vécu trois mois dans un cirque, je chantais quatre chansons pour 500 francs par jour. Ce qui m'attire le plus dans la fête foraine, ce sont les chenilles. Quand j'étais pervers, à treize ans… le moment où ça se recouvre, c'est là que t'emballes. Les auto-tamponneuses, c'est bien aussi, si t'es seul et que t'as repéré une meuf, un truc peut se passer ensuite… Pareil avec le train fantôme, c'est cool, il faut tenir la main de la fille. Ou alors créateur de mode, si j'avais eu un super meilleur coup de crayon : ma mère était couturière, j'ai grandi dans les chiffons. Je nageais la brasse dans les étoffes, taffetas, satin, velours. Je reniflais les tissus, j'aimais bien leurs odeurs. Une culotte de soie, ça ne sent pas pareil qu'une culotte de coton, d'accord ? //…// Je n'ai jamais voulu prendre d'acide ; vu que je suis déjà en suspension, je sais que ce truc-là m'aurait fait partir comme une fusée, et je n'avais pas envie parce que je voulais créer. À l'époque d'« Aline », c'étaient les joints, mais j'ai arrêté au bout d'un an : je devenais taré. La coke, j'ai commencé vers 1978/79, dans une période négative. Je m'enfonçais, j'en avais envie, mais ça a tourné à la parano et j'ai stoppé net. Quand t'es seul dans ton salon et que t'as l'impression qu'il y a dix personnes qui parlent... Un jour, j'ai tout jeté dans l'égout devant le studio Ferber. Quand je suis rentré, un mec m'a dit « mais pourquoi tu ne me l'as pas donné ? » (rires) //…// Il paraît que les types de Air disent qu'ils ont toujours été influencés par Polnareff et par moi. Je ne comprends pas le rapport. //…// J'ai créé une chaise à sons. Je ne chante pas comme les autres avec un casque, mais sous la console. C'est mon endroit, avec mes grosses enceintes autour qui cartonnent. Techniquement, ça crée cette petite différence. Le son, c'est ma passion number one. Je passe mon temps sur mes synthés. Pas pour être au goût du jour, mais parce que le son me provoque une émotion particulière. Je suis un mélodiste, mais c'est le son qui me fait créer de la musique. Après je mélange, je fais des collages. //…// Pour « Voir », j'ai envoyé la chanson à Isabella Rossellini avec sa voix dessus, et elle m'a donné son autorisation dès le surlendemain. Très simple, sans chichis. Une œuvre d'art, cette femme. //…// Ma première émotion sexuelle, c'était effectivement avec «Jeanine dans les collines». Et j'étais très, très précoce : neuf-dix ans. Depuis, j'ai toujours aimé les gens qui n'ont pas de limites. Quand on peut aller partout et que c'est un plaisir pour les deux, c'est génial, non ?… //…// C'est une image pure, je regrette de ne pas l'avoir dit plus tôt, je pourrais très bien l'avoir dit en 1970… C'est du romantisme. Pour la première fois de ma vie, j'ai écrit ce texte sans penser du tout à la musique, comme un petit court métrage. Je me vois comme un metteur en scène qui ne fera jamais de film. Mes rencontres avec les choses sont comme des électrochocs. Pourquoi je traîne, pourquoi je suis émerveillé par des formes, du métal, des trucs ? Par un enjoliveur devant lequel je vais rester scotché deux heures parce que je le trouve beau – et je me dis « c'est un objet d'art, il faut le suspendre.» Je ne l'explique pas, je ne l'analyse pas. //…// Les gens qui me connaissent me disent « tout le monde pense que t'es barge », mais à l'arrivée, c'est peut-être moi le moins fou de tous, on est d'accord ? … »
{Entretien de Christophe pour Libé}