dimanche, décembre 31, 2006

wish-fouillis 2007 – séquence affective



… s’avouer les moments de plénitude, voire de bonheur (ouh la la le gros mot), les moments où la vie est dense et douce malgré/à travers le chaos, écrire deux livres, enfin, au moins les avancer, de front (parce qu’il y en a un trop lourd pour pouvoir être porté tout seul… bon, ça à l’air paradoxal comme ça mais ça ne l’est pas…), lire, lire, lire, arriver à dire à mon coiffeur qu’il a le droit de couper plus de 3 mm de cheveux tous les trois mois histoire d’avoir l’impression de changer quelque chose, oublier, juste 2 secondes, pour la sensation d’oublier (puis se souvenir, merde), aménager-douillet (c’est-à-dire prêter attention à l’extérieur-intérieur au lieu de se la jouer ascète-j’ai-besoin-de-3 m2-d’un-plaid-et-d’une-théière), revivre un défilé de poètes sur canapé du salon (idée de titre), lire des manuscrits qui font battre le cœur & l’esprit, les faire connaître, classer la bibliothèque (penser-classer), imaginer Chaumont (le projet) et y aller (le lieu), rencontrer Christophe (le chanteur, pas Hanna, j’le connais déjà), ni trekking ni saut à l’élastique mais farniente et soleil (enfin un peu en saison), parce que c’est lui, parce que c’est moi (l’ellipse), rock & amour en wallonie et partout ailleurs, faire de bons gros plats des familles en trop grosses quantités et sans les manger, bien sûr, avec entrées, plat, fromages et dessert, savourer le réchauffement de la planète sans le dire – ça s’fait pas, chanter, trouver un deuxième nom de chat, en C cette fois (Chantal ? Colette ?...), énoncer que le choix est dans la vie menée (cf. Clément Rosset), pas dans les costumes ou les hypothèses énoncées sur sa propre vie (ce qui serait une « nature »), arpenter H&M hors heures de pointe tout en arrêtant de se persuader qu’il faut aimer faire du shopping (et en aimant les fringues et les fantaisies précieuses et les lumières qui clignotent), simplifier certains éléments concrets au lieu de sans cesse rechercher la complication (baroque ?), passer des coups de fil à Manuel (is Manuel is Manuel), limiter la consommation de Coca Light, sourire, écrire, ne pas culpabiliser comme une criminelle en cavale au bout de deux jours sans activité physique en salle, poster régulièrement sur rougelarsenrose (hum), arrêter d’être toujours honteusement en retard avec Ambition, arrêter de se fixer des calendriers intenables (peut-être, non ?), arrêter de culpabiliser comme une criminelle en cavale pour tout retard de réponse d’email (et retard tout court), versatile = versatile, ramasser des yeux de Sainte-Lucie avec mon frère (non, ce n’est pas de la mutilation), partir sans fuir, retenir les prénoms des personnes rencontrées du premier coup, aimer, danser, réussir les galettes (sans gros trou dedans à coups de spatule nerveuse, la pâte c’est facile) et les fêtes, ne plus être violente vis-à-vis d’inconnus violents (ça va mal finir), carpe diem à toutes les sauces (sauf américaine), éviter les objectifs absurdes et les fâcheux (autant que possible), donc tenter d’être en accord avec la majorité des événements et des sensations d’une journée (cf. supra. c’est un luxe à s’offrir), ne boire que de somptueux Sancerre, fêter mon anniversaire, rire, aller chez Lu à Bruxelles, à Berlin, en Italie, à New York, au Japon (ça risque d’être trop pour 2007), rire, retourner à Pirio voire maman au pied du rocher (au bord de la rivière où poussent des fougères qu’on ne trouve, normalement, que dans les îles australes), pleurer puis rire, découvrir de nouvelles séries télé, de nouvelles BD, de nouvelles musiques, tous les jours de nouvelles musiques, se souvenir de blagues absurdes qui ne font rire que moi (bras, chocolat et tartes à la rhubarbe), elle dit, elle dit, elle dit, ne pas trop débloquer, enfin pas trop souvent, juste le déblocage-soupape quoi, apprécier les nuits de 8 heures avec délectation, l’odeur de l’oreiller, apprécier les nuits blanches avec délectation (moins l’odeur du tabac froid), retourner chez Carmen, remonter sur un vélo (petit), découvrir de nouveaux légumes et de nouveaux fruits (c’est possible), se réconcilier avec la mort (ne pas trop se disputer avec elle) (c’est possible), écrire en incarnant, dirait C ? (la température de l’écrit), dire « je » sans cette abondance de je et de moi (c’est possible), tricher avec le « je » (« même si c’est vrai c’est faux », Ah ! Ah !) lire, aimer, aimer, lire, retrouver ou trouver mon instrument – le piano – en oubliant les années de Cortot, de Czerny et de Hanon pires qu’une camisole, écouter Glenn Gould, de toute façon (en toute occasion, le chant de Glenn Gould, tout bas), caresser le chat (et le brosser régulièrement, accessoirement), oublier la migraine, apprendre à dire non (NON), dire non (NON), faire mes déclarations d’amour-amitié à mes amours d’amis M, L, O, JB, S, C, D, voilà, juste la Grande Ourse, parce que j’ai la chance et la joie de les connaître et qu’un infini sourire n’y suffirait pas, faire beaucoup de photos, beaucoup d’images et de sons, accepter enfin un horizon teinté de rose et de bleu, voire même l’entrapercevoir…

(son Blonde Redhead, Futurism Vs. Passeism Part Two.

mardi, décembre 26, 2006

Quelques reliefs de 2006

... sous forme d'entrées, plus ou moins inattendues, dans rougelarsenrose, glanées en 2006...

...

Adèle de Baissac
« je naquis au Havre un vingt et un février »
Vincent Noiray
Hélène Bessette
femmes aimant les hommes mutilés
fammes propres
arrangements floraux
pince monseigneur étymologie
amandes philippines
tatouages romantiques
osso bucco
Charles de Zohiloff
fiancé japonais
éric meunié photo
noyade à la pêche en france mai 2006
my boots are made for walking and that´s just what
gigaro
lucioles
ya t-il de la cocaïne dans le coca cola ?
ma fille est une pute
comment conditionné des anchois
merguez
la plage coiffure formel
pâtes italiennes
14 juillet Ponge
Hélène Bessette
pochoir
« je naquis au Havre » queneau commentaire
elvis chante mort shumann
cia tableaux peints
Hélène Bessette
fétichisme + pied / blog
bonjour philippine
vitesse de distorsion
générique émission champs élysées
deux coups de sonnette
rose argentée artificielle
petite rose rouge
achat gode
peur du rouge
hélène bessette
hélène bessette
bonne chaude
grammaire « que faire » « quoi faire »
fétichisme pied blog
icône de la chapelle sixtine
anne-marie albiach
autoportrait vanité
Yapou
Hélène Bessette
larsen rose
enfant esclave nu
faire du vélo
hélène bessette extraits
lucioles pasolini
autoportrait nu
personnage de la série ina
bonne chaude
poème chaussure
fétichisme botte
vidéo ouf
postérité
portrait de lord anglais
novi sub sole
orchestrer Pierre Henry
approche de coiffeuse
colonne shampoing mobile
chenille mescaline tequila
teinture fluo
rodier kway
michel surya
dessin de rose rouge
je sais pas faire du
yapous
les meilleures merguez de paris
afrirampo paris 22 juin
coucouche panier
titres romans écrivains alcooliques
lester bangs Psychotic reactions et autres carburateurs flingués
oh oh ausrufezeichen
maladie de la mort
fétichisme des collants
clip trésor isabella rossellini
teinture fluo pour cheveux
guillaume navaud
rattrapage science et vie de la terre bac s
anawrata
Édouard Adler
femmes qui se rasent
rose poussière
amandes philippine
yapou
demi botte en cuir à vendre
femmes ouvertes
anne laure limongi
coucouche panier
derrida merguez
que es royet ravit
chaussures de femme traditionnelles
babybel
merguez algérien
gonflement après la mort
je rêve d’un monde
gigaro
enfants esclaves piment
cheveux pétard naturel
image baignoire qui fuit
liste affluents
chaude
aujourd’huis
chère maîtresse
tristram shandy
docteur michèle minou
caviar de carottes
codoliprane
blog fétichisme culotte plastique
vénération des chaussures
magasin de boots art à Nancy
elles assurent en rodier
jérôme laperruque
étymologie ronéo
mercredi après midi 1970 lester
symbolique des bouquets mortuaires
la pragmatique des slogans publicitaires
je ne sais pas faire du vélo
confectionner des merguez
photographe Catherine Hélie
larsen flou
vénus en fourrure
roman porno illustré
descartes, discours de la méthode troisieme maxime
blogs fetichiste bottes
femmes aimant cravache
émission champs élysées
abaque rollings stones
coiffures mexicains
orion scohy
hit morts absurdes
tissu taffetas chenille
cheveux en pétard derrière
îles humains queues
histoire drole sur le tire bouchon
mongiens
entreprise babybel
la fabrique du pré
love and married série
coucouche panier papattes en rond disque
promotion canapé "histoire"
"eric meunié du réseau"
philippine amande
magasin de chaussure sans culotte
Conchiglioni Rigati 126
fiction automobile
chaude
trains de marchandises très longs
été intérieur
inventeur du gode
femmes à poils
amphigourie
gode utilisation
gode automatique
dentiste ouvert 14 juillet paris
vénus à la fourrure
autoportrait nu
le son i'm your lady
motarde cuir
osso bucco
femmes à poils
pattes en pointes
shozo numa
faux nombril
la maladie de la mort
queue
laure
orion scohy
recette d’un osso bucco
contorsionniste photos intimes -anal –sodo
coup de boule plage
étymologie de pince monseigneur
salon de coiffure coiffeuse nues
françois et denise
l'arrivée des tentatrices vidéo
loi carré
daniel foucard
filles qui veulent du sexe
poésie complète meunié
michel nedjar
effet glitter
petit patapon petit artiste
tatouages orchidées
magasin chaussures américaines
gigaro
yapou shozo numa
gonflement du chien après la mort
lyrisme objectif
sexe réel en direct
photo motarde sexy
hélène bessette
claude riehl
séries télé
une chaude journée
nombril poème
je veux un homme pour me baiser
blog minou humide
On devrait raser la Sorbonne et mettre Chris Marker à sa place Henri Michaux
Quid novi sub sole
vous le coucouche
Charles de Zohiloff
on se calme et on boit frais
cherche vieille, blog
la nonne volante
rideaux bleu nuit
hélène bessette
photographe travesti
vitesse de distorsion
trois minous
moi chéri dresse
hélène bessette
pollen en pelottes
bardadrac
trouver une bonne coupe
artiste femme
alban liechti
fétichisme pieds
ronéoter
autoportrait texte
fétichisme pied
trouver un dentiste
paysage de la philippine
rose garance
Charles de Zohiloff
Drôles
Léo Scheer Al Dante 50%
coup de boule la plage
je baise avec un animal
Ida ou le délire Hélène Bessette
orion scohy
revue Inculte
Pasolini lucioles
osso bucco
arrangements floraux sur pieds
paroles de chansons par Étienne Bessette
il expose ses grosses fesses dans la plage
les boas fermés
roman spéculaire
baise dans la rue
petite fille pauvre
je suis à toi
démonstration de baise
vénus à la fourrure
cocotte attache fond fonte
je te baise
gigaro
films porno avec animaux
hélène bessette
décoration de voiture balai par métier
fleures en plastique
royet-journoud
motarde sexy
récit de coupe de très longs cheveux
étymologie de merguez
le rouge et le noir
sexy voyeur cul
poils
blog de la fille qui aime baiser
coup de boule
relations humaines
tapis moderne parme violet
glitter ange
laure baise
tatouage elvis
rattrapage crème anglaise
motarde sexy vue de derrière
acteur jouant elvis
femme fourrure
suitabilité
nom du chien de jonathan et jennifer
restes che guevara squelette
cuisiner la murène
le monde en rond
comment baiser les vieilles femmes
sollers
bevilacqua album
hélène bessette
image de diable rose
on se calme et on boit frais
bonjour philippine
rose baise
choisir nuisette
Jean-Luc Godard et la nourriture
position des mains pour jouer du piano
bonne chaude
rosa
bas sont fait pour baiser !
baise avec grand mère
laure m’a quitter
bétail humain yapou
plein la bouche
poésies rentrée des classes
la vieille baise encore
médecin généraliste
citation chère emma
baiser avec une professeur
je veux baiser avec toi
morrisson mort ou vif
invention de godes
...

dimanche, décembre 24, 2006

vendredi, décembre 22, 2006

samedi, décembre 16, 2006

Yapou 2



On l’avait énoncé en parlant du premier volume de Yapou bétail humain : sa découverte tardive, en France, est un événement de pensée majeur auquel il faut se frotter au plus vite (si ce n’est déjà fait), un séisme éthique et esthétique tant le monstre créé par son auteur constitue le chaînon manquant entre Sade, Sacher-Masoch et les pensées plus récentes de l’excès tout comme les univers de l’abjection.

Yapou, bétail humain a d’abord été publié en feuilleton à partir de 1956, créant un scandale retentissant. C’est sans doute le texte le plus célèbre de la littérature masochiste du Japon de l’après-guerre. Applaudi par Yukio Mishima et une partie de la critique, le livre fut honni par d’autres qui le considéraient – à juste titre – comme une critique virulente du régime et de l’Empereur. Phénomène de masse, le livre s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires avant d’être adapté en manga.

Cette fresque post-moderne crée le fictif, futuriste EHS, gouverné par les femmes (des femmes d’origine anglo-saxonne majoritairement blondes) et au sein duquel la « race jaune », les « Yapous » – variation transparente de Japan – ne sont plus considérés comme humains mais comme une matière première intelligente et servile servant au confort et aux caprices de l’élite blanche. Une conscience « viandeuse » à modeler selon ses besoins et désirs. « Les Voyages de Gulliver et Aline et Valcourt ou le roman philosophique m’apprirent que la forme du voyage fictif permettait seule de faire des narrations utopiques (je préférerais dire dystopiques) qui s’écartent de la réalité quotidienne » écrit Shozo Numa dans une postface de 1970. Reprenant cette tradition, il imagine qu’un vaisseau spatial chute sur terre dans les années 196X, découvert par un jeune couple : Clara Cotwick, une Allemande et Sebe Rinichiro, un Japonais. Les tribulations de la rencontre de la pilote et des deux jeunes gens les amèneront à découvrir l’étrange univers d’EHS que nous décrit l’auteur avec force détails dignes d’un Jules Verne loufoque, alternant adresses au lecteur (dont l’humour pourrait également faire penser, parfois, à Laurence Sterne) et digressions techniques diaboliques de précision. On devine aisément, dans un tel monde, quels seront les sorts respectifs de la jeune femme allemande à la peau d’albâtre et aux yeux clairs et de son fiancé japonais, tout intellectuel et judoka soit-il… sans pouvoir s’attendre au débordement d’imagination de l’auteur qui secoue et stupéfie à chaque page. Car Shozo Numa parvient à reconstruire tous les éléments d’une civilisation en imaginant de nombreux livres scientifiques ou philosophiques, des études, des machines, des inventions… dans une surenchère permanente d’outrance et de merveilleux.

Happés par l’univers magnétique de l’auteur, spectateurs adoubés de cette société au-delà de toute immoralité, nous avions, à regrets – presque au désespoir –, fermé le premier tome de Yapou bétail humain au moment où Rinichiro venait d’être baptisé Yapou. Les crocs de cette civilisation albiniste s'étaient refermés sur lui, déchirant ce qui lui restait d’illusion et d’identité… et de virilité, d’ailleurs, aussi, au passage. Le baptême se fait par purification à la « sainte Eau », autrement dit, l’urine de Clara (« amarita shower »), scandant des « yamen ». Devenu TEVIN 1267, Yapou parmi les Yapous, le destin de Rinichiro est à présent lié à celui de son ancienne fiancée, mais d’une façon qu’il n’aurait jamais pu imaginer… il est devenu sa chose viandeuse, tirée en laisse, à modeler à loisir, dans la douleur et l’humiliation – notion absente, bien sûr de la pensée d’EHS, puisque les Yapous y sont considérés comme des animaux.

Le deuxième volume commence pendant les premiers pas de Rinichiro, yapou. Il se trouve attaché sous un sofa sur lequel se repose Clara – sans que celle-ci s’en doute le moins du monde – en constituant, donc, le matelas et la structure, tout en vivant une expérience télépathe avec elle – ce qui devrait lui permettre, par la suite, de mieux la servir (tel est, du moins, le sens du dispositif). Avec horreur, il se rend compte que son bien-être relatif – dans de telles conditions – dépend de sa dévotion à Clara, au dieu Clara. Lorsqu’il est en colère ou jaloux la charge semble insupportable, ses articulations prêtent à craquer. Lorsqu’il la prie, tourne des pensées dévouées vers son image magnifiée, tout s’allège. La survie dépend de l’acception de sa condition.

Ainsi, ligoté sous un meuble, meuble lui-même, souffrant les mille morts de l’accoutumance à la pisse blanche devenant son propre sang, Rinichiro voit par les yeux de Clara ce que cette Candide découvre peu à peu de la société et des protagonistes d’EHS. Car c’est grâce à elle, sa fraîcheur et son étonnement, son adaptation rapide aux nouveaux codes qu’elle rencontre, que nous sont dévoilés les fondements, l’histoire, les héros, les divertissements de ce monde. À travers le luxe démesuré qui lui est offert, elle ne peut que trouver que tout se déroule pour le mieux dans le meilleur des mondes, du moins, de son point de vue privilégié. Nouvelle déesse et Yapou de frais tannage découvrent ce que sera leur présent et ce qu’aurait pu être leur avenir, avant l’accident. C’est ainsi que ce deuxième volume répond à l’ellipse temporelle qui nous avait tenue en haleine pendant les 440 pages enlevées du premier : qu’a t-il bien pu se passer pour qu’en l’an XL une minorité blanche ait réduit les Noirs en esclavage et transformé les asiatiques en Yapous ? Comment les femmes ont-elles pris un pouvoir si absolu sur les hommes ?...

Shozo Numa parvient à une surenchère du sentiment d’horreur hypnotique qui avait présidée au premier tome. L’humour irrésistible du texte, la création minutieuse d’une cohérence historique et scientifique (même délirante) emporte le lecteur malgré lui dans une logique qu’il suit docilement dans son déroulement, enrôlé de force par la fascination de la fiction. Le sort des Yapous est plus qu’inacceptable, inimaginable par une conscience humaine ; pourtant, l’auteur nous délecte de leurs tribulations les plus infâmes, de scénarios sado-masochistes, de descriptions minutieuses des rôles du « setten » (Yapou WC) ou du « pouky » (Yapou skis) qu’on découvre dans le deuxième tome. Ce qui sauve le lecteur dans cette découverte d’EHS, c’est justement le fait qu’il s’agisse d’une dystopie située dans le futur : l’humanité des Japonais aurait été annihilé par d’autres hommes, dominants, à la suite d’événements qu’on imagine aussi terribles que la disparition des dinosaures de la surface de la Terre.

Oui mais voilà, la suite va plus loin en relisant les mythes fondateurs de l’humanité en général et du Japon en particulier à l’aune de la domination violente exercée sur les Yapous et du rôle de dieux que les blancs y jouent. Point par point, Shozo Numa démonte chaque légende, chaque texte sacré en en montrant l’incarnation blanche et cruelle à travers les yeux de Rinichiro, entravé. Ainsi page 9 : « Inutile de préciser que l’être fabuleux présenté comme un monstre moitié homme (tête et torse) et moitié cheval, le Kentauros que mentionne la mythologie grecque n’est que le fruit d’une rétroprojection historique, une invention ingénieuse du monde d’EHS. » « Rétroprojecion historique » les angelots des tableaux de la Renaissance (en vérité des « pangels », sorte de mini-Yapous ailés), les dieux fondateurs du Japon (la déesse Ama-terasu se nommant en réalité Anna Terrace), etc. C’est-à-dire que la civilisation d’EHS, la fiction, entre de plain-pied dans notre réel, à travers une justification historique délirante… mais terriblement cohérente ! On pensait que le scandale de Yapou bétail humain résidait dans le déboulonnage consciencieux de la figure de l’Empereur et de la grandeur du Japon qui y apparaît, mais cela va plus loin. L’ironie de l’auteur n’épargne rien ni personne, et surtout pas les bonnes consciences dominantes. Surtout pas, non plus, le lecteur.

Pour tenter un parallèle plus qu’osé, je dirais qu’il y a du Matrix dans Yapou ou plutôt du Yapou dans Matrix (folklore christique en moins), Yapou agissant comme un révélateur des fonctionnements sous-jacents de la société. Yapounisé, entravé, Rinichiro alias TEVIN 1267 avale (malgré lui) la pilule rouge et découvre non seulement ce qui fera son futur mais l’illusion qui a été son passé – l’existence transhistorique d’EHS. (Le parallèle s’arrête là. Nul Neo ici. Aucun horizon de revanche des Yapous ne semble pour l’instant, dans ces deux volumes, possible – à l’inverse de Matrix qui encense la révolte et la dialectique du retournement des forces au service de valeurs humaines et généreuses.)

Enfin, en guise de non-fin – c’est bien le moins concernant une fresque inachevée d’une telle ampleur – je voudrais souligner le travail extraodinaire de traduction réalisé par Sylvain Cardonnel. Son rapport à la langue japonaise n’est pas complètement indifférent à la manière dont il parvient à traduire les néologismes avec une évidence subtile pour le lecteur – basée sur des strates temporelles et culturelles. Une histoire aux échos signifiants. On l’apprend dans un entretien réalisé avec Morgan Boëdec pour Chronicart : il y a quinze ans, il débarquait en touriste à Tokyo sans connaître un mot de japonais. Le retour en France de la femme (encore !) qui l’accompagnait a scellé son initiation à la langue japonaise… Depuis, plusieurs traductions avant la rencontre – que l’on imaginerait presque programmée par un destin venu tout droit d’EHS en « rétroprojecion historique » – avec les 1500 pages de Yapou bétail humain à recréer plus qu’à traduire afin d’en faire vivre les mécanismes dans une langue dynamique pour le lecteur français.

Ce n’est pas un hasard non plus que cette publication voie le jour à un moment où les Éditions Désordres, menées par Laurence Viallet, se trouvent menacées. Gardons à l’esprit une évidence essentielle : il FAUT que le troisième volume de Yapou bétail humain sorte. Il FAUT que Laurence Viallet poursuive son travail éditorial unique (Kathy Acker, Peter Sotos, Samuel R. Delany, Dennis Cooper, David Wojdranowicz…) dans le paysage éditorial – souvent déprimant, tout de même, il faut bien le dire – français. Hey, on n’est pas des Yapous du Marché. On n’est pas les « settens » des proses anxiolytiques distillées insidieusement. Je n’ai guère envie de m’expatrier en juin 2007, vous non plus, je suppose… faisons donc en sorte que la création vive, l’indocilité, la pensée soient possibles dans tous les espaces qui s’y consacrent. Merci pour nous – pour vous.

Yapou bétail humain volume II de Shozo Numa, traduction Sylvain Cardonnel, Éditions Désordres/Laurence Viallet, sortie janvier 2007.

L'image est de Remka qui avait illustré le dossier paru sur le premier volume de Yapou dans Chronicart.

jeudi, décembre 14, 2006

Document (hélas)

On aurait préféré de la fiction…



« … Voici ce que M. Georges Frêche, élu socialiste de la région Languedoc-Roussillon, déclare tout récemment, lors du Conseil d'agglomération de Montpellier (selon le quotidien Midi libre, dans son édition du jeudi 16 novembre), en parlant de l’équipe de France de football : “ Dans cette équipe, il y a neuf Blacks sur onze. La normalité serait qu'il y en ait trois ou quatre. Ce serait le reflet de la société. Mais là, s'il y en a autant, c'est parce que les Blancs sont nuls (...). J'ai honte pour ce pays. Bientôt, il y aura onze Blacks. Quand, je vois certaines équipes de foot, ça me fait de la peine.”… »

lundi, décembre 11, 2006

Jaume Roiq Stevens



Tout d’abord, un conseil d’ami, pour votre bien – car votre bonheur m’importe chers lecteurs : que tous ceux qui n’ont pas encore lu de livre de Céline Minard se ruent sur R. (aux Éditions Comp’act) et La Manadologie (aux Éditions MF) et n’en fassent qu’une bouchée – enfin, en mâchant un peu, tout de même, ce n’est pas coriace mais dense ! (Comme tout bon aliment.) Je vous assure une claque esthétique que vous n’aurez – dans des conditions normales d’immersion littéraire inféodée à l’actualité des productions – pas connue depuis belle lurette.
On vous pardonnera néanmoins de commencer par Le Dernier monde qu’il n’y aura qu’à cueillir, nonchalamment, après les fêtes, en retirant une moufle, sur les tables de votre librairie favorite parmis les reliefs de la rentrée de janvier – mais gare. Toutes les étapes ayant conduit à cette dernière histoire comptent.

Il n’est donc pas anodin que ce roman-ci débute à brûle pourpoint au milieu d’une phrase et même d’un mot, déboulant dans la description d’un réel énervant fait de compromission et de patience face à de menues – mais nombreuses – irritations. Un réel quotidien que l’on reconnaît, traduit in medias res par la fiction pour incarner les personnages avant d’en dérouler la singularité.

On les saisit au vif de leur aventure, débarquant sans crier gare en plein milieu de la narration tout en captant, du même geste, une étape de l’œuvre de Céline Minard qui en compte et en comptera beaucoup d’autres. Et des illustres. On en tient le pari mordicus. Car elle parvient à un équilibre unique en son genre : allier le dynamisme d’une narration soutenue, drôle, à rebondissements… une histoire qu’on ne lâche pas ! à un travail ciselé de la langue : une œuvre de recréation polyphonique, brassant les idiomes, les niveaux de langues et de discours, les rythmes temporels…
Une histoire captivante à travers une écriture écrite – et pas des réflexes langagiers banalement enfilés comme les perles en toc d’un flot verbal indifférencié –, sans être, pour autant, « de laboratoire », une écriture créant un monde tout en capturant le lecteur aux rets d’un suspens d’une efficacité redoutable.

Ce devrait être l’une des définitions les plus excitantes de la littérature du genre romanesque… une définition restée théorique, ces derniers temps, hélas, si l’on excepte, donc, les livres de Céline Minard et de quelques autres écrivains dont on a parlé et dont on reparlera. Le Dernier monde est, à mon sens, l’un des livres-clefs de ces dernières années, de l’ampleur d’un Arno Schmidt à la française – pour donner dans la comparaison, mutatis mutandis.

Et en plus, vous savez quoi ? Céline Minard est une femme qui n’écrit pas un roman de femme – ce genre de prose qu’Hélène Bessette évoque dans ses entretiens avec Jean Paget, les romans propres sur eux, peignés, souriants ou chignants, aux thématiques consensuelles... Ça ne veut peut-être rien dire pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup : ici pas de couple déliquescent, de trentenaires à cheveux longs qui le valent bien, de bavures autofictionnelles, de crises sentimentales, d’interrogation sur l’amour, de prose parturiente, fluide… et ce en plein cœur de l'une des rentrées littéraires ! Ouf ! Des vacances ! De l’air ! L’univers (la science-fiction) et le héros seraient plutôt masculins… et le résultat, donc, clairement sans identité sexuelle à renifler et apprécier en conséquence selon le premier chiffre de son numéro de sécu. On sort enfin d’une certaine idée du « roman de femmes » – ce livre-ci parmi quelques autres, heureusement – et c’est tant mieux – je dirai même plus : vital.

Un des plaisirs de la lecture de ce livre résidant dans la découverte de son histoire et ses rebondissements à addiction immédiate, ne comptez pas sur moi pour en dévoiler les éléments, ce ne serait pas très gentil… Voici juste l’amorce du Dernier monde, accompagnée de quelques éléments de description du dispositif stylistique mis en œuvre par l’auteur et dont vous ne sortirez pas indemne.

Une équipe de chercheurs travaille dans une station orbitale. Le narrateur, Jaume Roiq Stevens, est l’un d’eux. Le moins maniable, assurément. (Le héros, quoi). Rétif à la hiérarchie, ironique, instable, un peu loufoque, entêté, soupe au lait et amateur d’alcools, il est à l’origine de quelques menus incidents qui ne font que révéler la vétusté de la station et provoquer une décision sans appel des autorités terrestres : arrêter le projet, évacuer les astronautes. Ce qui transforme le difficile Jaume Roiq Stevens, refusant d’obéir aux ordres, en pirate incontrôlable et condamné par la loi. Celui-ci s’installe alors confortablement dans son île déserte du futur, y poursuit ses expériences, non sans rationalisation justifiant sa rébellion, lorsque des accidents dramatiques observés de son hublot et un silence étrange de la Terre le décident à rentrer au bercail. À son retour – épique – une aventure inattendue et solitaire l’attend. Aventure qui sera le prétexte d’un tour du monde sentant la voiture volée, la trombe en caméra subjective et le caoutchouc brûlé d’appareils se posant en catastrophe, dans une quête de plus en plus désespérée, exprimée à travers la furie frénétique, parfois euphorique, toujours irrésistible, du héros. Psychose ou cataclysme ? Fou à lié ou seul rescapé ? Réalité, rêverie ? Peu à peu le réel qui l’entoure se met à lui parler et il parle au réel qui l’entoure à travers un prisme foisonnant – délirant ? Sa langue se modifie, s’infléchit, devient poreuse aux pays traversés, à leur culture, à leurs idiomes… Personnage globe-trotter, Jaume Roiq Stevens incarne Babel dans son phrasé tout en vivant des épisodes cocasses perdant, au fil de l’histoire, leurs couleurs réalistes pour s’éclairer de rêves, de souvenirs, de légendes et de digressions. Celui qui pensait, tragiquement, avoir le monopole de la parole, du « je », est envahi du discours du monde autour de lui, qui le circonscrit et le traverse, fétu humain, dérisoire, perdu dans l’immensité des choses et s’y débattant. Le lecteur, dérouté avec ravissement, court à perdre haleine aux côtés de l’astronaute déchu ; il en prend plein les yeux, plein l’imagination, à grandes volées de chapitres, de continent en continent… jusqu’au bout de la route – car les pistes aboutissent et tous les chemins mènent à l’homme. Fin ou nouveau commencement. Quelle sera la résolution de ce roman d’aventure cosmogonique ? Un seul moyen de le savoir… Zappez les cadeaux, la bûche, la bise à mamie, le sac à sapin... vivement janvier !


Le Dernier monde de Céline Minard, Éditions Denoël. Viiiiiiiiiiiiite...

dimanche, décembre 10, 2006

Ne plie pas mais ne rompt pas

« Las mais n’abandonnant pas la lutte. »

vendredi, décembre 08, 2006

Rolax again



Belles découvertes (et re) hier soir… enfin, pendant la nuit… en fait, aujourd’hui quoi, mais tôt (avant la tempête)… il se passe des choses sur le label ROLAX… prochain live à guetter…

jeudi, décembre 07, 2006

Répétez après moi



Robots après tout est un album qui divise les kateriniens.

Il y a les kateriniens de toujours – dont je suis – qui adoooooorent.
Il y a les kateriniens déçus, ceux qui préféraient la veine bossa et déplorent les influences électroniques – pourtant l’esprit est le même de « Je vous emmerde » à « 100% VIP », ou de « Poulet n°728120 » au « Train de 19h »…
Et puis évidemment, il y a les néokateriniens – c’est, finalement, l’avantage du système médiatique. L’écume starac’ se répand toujours très loin.

Robots après tout est un album essentiel de ces dernières années dans la mesure où il constitue une spectacularisation critique de l’époque tout en s’y insinuant à pas feutrés aux talons pailletés. Critique dans le sens de « miroir », pas de « condamnation ». La posture de supériorité parfois mimée par Philippe Katerine dans une excess conviviality drôle et geignarde, froissée (« Patati patata »), dégonfle les effets en les assénant au sein d’un monde qui n’est jamais manichéen. Ici les « robots » portent des sous-pulls roses, la seule blonde de l’album n’est autre que… Marine Le Pen (Aaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhh), le réel est prégnant, bruissant (« Numéros »), parfois collant et lourd (« Borderline »…)

La mélancolie à l’œuvre dans les albums précédents n’a pas disparue, au contraire. On retrouve bien l’anti-héros Katerine, le poète qui emmerde la poésie et qui nous emmerde… en s’emmerdant. Les inflexions demeurent, les couleurs. Déjà des sous-pulls dans les Mauvaises Fréquentations ; la manie des titres-dates (dès L’Éducation anglaise : « 21 mai 1993 »), un rapport toujours plus ou moins problématique aux femmes-passantes.

Philippe Katerine pense un présent à habiter, à faire grincer avec jolies couleurs pastels à travers une inscription temporelle tenant compte du passé (les souvenirs, l’ancrage temporel : « Le 20.04.2005 ») tout en imaginant une projection future, comme dans la chanson « 78.2008 » (le topos « quand on aura 20 ans » heureusement revisité…)

L’« après tout » polysémique de Katerine est à la fois un constat dandy, détaché mais aussi une simple locution consciente d’appartenir à une diérèse qu’on ne fait pas que traverser mais qu’on incarne à travers une histoire personnelle concurrençant l’Histoire armée d’un grand H (« 11 septembre »).

D’où la posture d’énonciation d’ « Après moi » (cf. vidéo ci-dessus) qui, certes, provoque mais surtout stigmatise les réflexes du discours – robotisés – ce qui est renforcé par la structure karaoké de l’ensemble (la répétition dirigée, mot par mot) :

« Répétez après moi : “On n’a rien compris au film” = “On n’a rien compris au film”
(…)
Répète après nous : “T’as rien compris au film” : “T’as rien compris au film” … »

Le « je » ne s’approprie pas le discours qu’on tente de lui attribuer. Il se joue toujours de ce qui l’inclut, constate l’incommunicabilité foncière de tout échange (« Qu’est-ce qu’il a dit ? ») et observe les phénomènes collectifs (comme dans « Louxor j’adore »). Il est inattendu (« Excuse-moi »), s’échappe, déplace les horizons et les attentes…

mercredi, décembre 06, 2006

Les synonymes « vrais » n’existent pas

(Souvenir lexicographique)

Je tiens juste à signaler qu’il existe une différence d’inflexion majeure entre « … on est toujours tout seul au monde… » (sentiment de déréliction ontologique avec une jolie esthétisation en mineur – pour les soirs de pluie) et « … parlez moi d’moi ya qu’ça qui m’intéresse » (quand le nombril gagne du terrain jusqu’à bouffer le cerveau).

C’est pas du pinaillage, c’est de la survie – dans le monde (de manque) tel qu’il est. Et puis on n’est pas encore le dernier survivant d’un roman de Céline Minard (encore un peu de patience avant d'en savoir plus)…

So (non non, là je plaisante)...

mardi, décembre 05, 2006

Antonia (le temps se traîne)



De l’allure de grands romans à grandes héroïnes (Anna Karénine, Emma Bovary, Nana...), Antonia Bellivetti fait résonner son nom en couverture avec voyelles ensoleillées et cadence majeure, de l’éclat raffiné d’une Italie littéraire, les voyages de Stendhal, les dorures de la Renaissance, le visage doux et grave des madones... annonce d’un portrait qui ne saurait qu’être celui d’une femme extraordinaire, fascinante, exemplaire... mais { ici le sccrrratchhhh agressif d’un vinyle qui dérape après un accord de violon avec brushing André Rieu }

N O N

Il va falloir apprendre à se méfier des étiquettes, un jour, tout de même.
Et puis vous ne vous souvenez pas de la Jeanne d’Arc de Nathalie Quintane, « la sainte qui émet » incessamment plongée dans ses quant-à-soi ? De la tête farinée de l’anti-héroïne Capitaine Quintaine dans Mortinsteinck ?
On allait davantage heurter vos oreilles des feulements de Marilyn Manson que les charmer béatement d’un poupoupidou de Marilyn Monroe, c’est sûr...

L’exotisme du nom d’ « Antonia Bellivetti » est celui, populaire – plus « peperoni » que « gucci », sa sœur s’appelle Boulimi... – d’une ancienne immigration italienne* qui côtoie aujourd’hui, dans les cités, des populations arrivées plus récemment. « Antonia Bellivetti est un roman pour la jeunesse destiné aux adultes », annonce le quatrième de couverture. Antonia Bellivetti est le laps printanier d’une adolescence de banlieue évitant les écueils de la caricature. Ni héros encensés – self made banlieusards costard-cravatisés et repentis – ni personnages déchus – RMI-et-beuh-tu-perds-ton-sang-froid. Pas d’effet démago facile. On n’égrène pas les « ziva Kader pique la Benz », « mange tes morts bouffon», « grave le kiffe la dernière tournante » et autres images d’Épinal. On essaie au contraire de saisir de qui serait le reflet d’une réalité, par le biais d’une formulation non prédictive mais laissant voix à chacun des personnages, au bruissement continu de la télé, aux énoncés alentours. Le discours n’est pas assuré par un narrateur omniscient, une figure d’autorité, une héroïne lisse, portemanteau de vos oripeaux d’identification nostalgiques mais passe par la circulation de parole entre les adolescents.

Ouvrez le livre. C’est notre monde à travers le prisme d’une écriture qui montre qu’on peut être lucide sans être désespéré. Et même d’une euphorie critique ! Disposer d’une conscience politique, d’un regard acéré sans se laisser aller à un discours manichéen et/ou de supériorité. Ici, l’écrivain est dans le champ. Pas au-dessus. Nathalie Quintane ne choisit pas le mi mineur ou le do majeur et vas-y dans le rubato larmoyant ou l’accort martial. Non, tout est dans la modulation, les questions, les réponses, les hésitations, les choix.
La cité s’appelle Michel-Foucault. Le méga marché, Combat. La mode est une contrainte, comme partout. L’ennui englue tout. L’aliénation. La télé ronronne avec les chats pelés. Les jeux vidéos permettent de nouvelles destinées, rappelant tout de même que « chacun de vos actes est un choix ». Les immeubles sont des barres grises mais on arrive tout de même à y déceler quelques reflets bleutés, l’été, en cherchant bien. Vraisemblablement bien plus d’électroménager bon marché en panne que de cadavres en décomposition dans leurs caves : « ya toujours eu plus de choses dans les têtes que dans ces caves les têtes sont des caves ». Les enseignants : du médiocre au pitoyable. Les vacances : la Cité ou la Creuse (apprendre le point de croix à La Souterraine) ou trier des milliers de bouchons plastique pour trois jours d’océan pollué. Les familles éclatées. Les adultes presque absents, souvent résignés. Rongés par les dégradations sociales incessantes dont quelques échos** informent peu à peu les futurs adultes encore réactifs, comme Isabelle Ité qui parle ici à sa copine Antonia.: « Il ne faut pas être qu’un récipient des fables qui t’absorbent : histoire de ton père, histoires scolaires, hystérie de l’histoire. Ou alors c’est que tu n’espères d’elles que le puissant vomitif qui te permettra par la même occasion de te débarrasser de toi-même. Soi-même ne va pas de soi : fourre-toi ça dans le crâne. Ce n’est pas parce que tu te lèves le matin sans y penser, que tu bois ton bol sans y penser, que tu prends ta clef sans y penser, que tu ouvres et fermes des portes sans y penser, que tu discutes avec des copines sans y penser que tu regardes sans y penser, que ta prise en charge est automatique. (...) L’adolescence, ce n’est pas seulement trouver qu’on a de gros seins. Si la vie des cités est machinale c’est parce que les habitants des cités sont des machines. Ce qui nous tue, ce n’est pas l’ennui, c’est notre complaisance à l’égard de l’ennui et cette idée que seulement par l’ennui nous tenons une aristocratie possible alors que nous sommes les prolétaires de prolétaires, de génération en génération »...

>> Antonia Bellivetti, Nathalie Quintane, POL, août 2004.

//traverses ::
* Interprétation liée à un détail mémoriel : devant la porte de l’école primaire dite « du Centre », à Bastia, dans les années 80, une inscription murale pouvait laisser perplexe. À côté des classiques « francesi fora » (« français dehors »), « arabi fora » (« arabes dehors »), « vinceremu » (« nous vaincrons ») et autres « a droga basta » (« plus de drogue ») – pour le soupçon de justification démagogique –, on pouvait lire « italiani fora » (« italiens dehors »). Or là, vraiment, difficile d’en saisir le contexte : on était tous d’une plus ou moins lointaine origine italienne avec tous ces « i » et « a » à la fin des noms... Un adulte tenta une explication. Cette île avait la mémoire longue et qu’on y mettait plusieurs générations avant de songer à effacer une inscription murale ; on n’en était plus à une contradiction près entre un drapeau à tête de Maure (coupée) et une économie dépendant du continent. On raconta les souvenirs de la guerre (Mussolini), les italiens, premiers ouvriers – avant les maghrébins, etc. Et puis que de toute façon on était toujours l’étranger de quelqu’un. Ainsi – revenons à notre roman – l’étonnement courroucé d’Antonia Bellivetti qui se fait, de façon saugrenue, « traiter » de chinoise (p. 27) sans en comprendre la raison : expression de l’arbitraire des exclusions, des étiquettes, des clichés culturels...

** ... « L’utopie néolibérale consistait à rendre la force de travail aussi flexible et aussi fluide que le capital (...), la stratégie managériale consistait à renforcer la mise en concurrence des salariés les uns avec les autres et bientôt ce serait à l’individu lui-même d’entretenir ou de reconstituer son « employabilité... (...) Il fallait absolument (...) ne pas être indifférent au malheur des hommes ni à sa propre indignité, ne pas se comporter comme des larves... »( p. 107)

samedi, décembre 02, 2006

Ne cherchez pas mes brouillons, ils sont tous imprimés

… en amont de cette table-ronde à la BNF, je m’étais penchée sur cette question épineuse de l’intime – comme le souligne très bien Patrick Rebollar dans son intervention en parlant d’ « effets d’intime » à défaut de traquer de l’intime pur jus – dans rougelarsenrose qui, justement, déjoue sans cesse cette question par une ouverture permanente vers des matériaux extérieurs à la débauche de je et de moi…

Dans la mesure où, comme on l'a compris, ceux qui n’en auront pas été gavés sont un peu restés sur leur faim jeudi dernier, voici – après quelques hésitations – le brouillon de mes réflexions. La cause génératrice n’en est que le prétexte, finalement. Je me suis dit que ces quelques notes descriptives et désorganisées pourraient fonctionner comme une sorte de plan (évidemment lacunaire et déjà obsolète…) au sein de l’organisation temporelle du blog, un miroir de son activité.

La lassitude du moi, l’absence de partage, de lecture, de retour m’avait toujours fait abandonner mes projets de journaux au bout de quelques semaines ou quelques mois… Mais la méfiance envers la surabondance narcissique cache justement un désir égotiste de cerner et exposer ce moi – dans ses diverses facettes. Cette résolution-ci se poursuit donc depuis presque 2 ans à présent, justement grâce à la diffusion de l’outil (et la pression qu’elle engendre).

L’écriture de mes quelques brèves tentatives de journal diffère beaucoup de l’écriture de mon blog. Elle est moins écrite, plus épanchée – plus désagréable à relire, avec du recul (d’ailleurs je crois que la plupart des tentatives ont fini à la corbeille). C’est un instantané clinique ayant fonction cathartique.

En revanche, ROUGELARSENROSE se veut un objet plus complexe, développant plusieurs axes :

a- les notes de lecture : un journal littéraire
b- l’intime : forcément , inévitablement…
c- une écriture en parallèle de l’écriture (complémentaire ? pivot ?)
d- un horizon musical
e- les liens hypertextes (les voyages transversaux)
f- les possibilités multimédias

a- les notes de lecture : un journal littéraire :

ROUGELARSENROSE est, avant tout, un journal de lectures. Un lieu d’exposition de textes lus, soit par le biais de citations plus ou moins longues, soit par celui de textes de commentaire sur ces ouvrages – souvent, le commentaire succède aux citations selon le rythme même de la découverte du livre.
Je ne me dis pas, professionnellement, « critique littéraire » (ça m’est arrivé lors de quelques moments d’abois Assedics… j’avoue… ça ne les a d’ailleurs guère résolus…), même s’il m’arrive d’écrire dans certaines revues critiques. Donner à lire sur mon blog gratuitement, sans enjeu de pouvoir, des textes sur des textes me semble constituer l’acte le plus « intime » de ce blog… : une lecture, en temps réel, d’une impression de lecture. Un portrait diffracté de mes goûts et découvertes littéraires.
Mais surtout, les livres dont je parle forment une constellation signifiante dans le sens de la défense d’une littérature exigeante, se posant des questions, en posant au lecteur, déstabilisant, dérangeant, comme le « LARSEN » du titre du blog : un bruit, un souffle, une vibration, un cri dans le flot des mélodies sirupeuses. Une littérature polémique et non consensuelle. ROUGELARSENROSE se voudrait un « vaisseau » de partage d’informations et de déstabilisation formelle.
On peut donc dire que ce blog fait partie intégrante de mes autres œuvres écrites, construisant un monde, un horizon formel.

Un « art bloggeur » (comme on dit « art poétique ») développé, par exemple, dans ce post du 30 décembre 2005.

En guise de carte de la constellation, voici un relevé (évidemment déjà obsolète dès sa publication…) des textes « critiques » publiés sur le blog :

Sur Anne-Marie Albiach : sur Figuration de l’image (27/04/05), un extrait d’Anawratha (08/03/06), un autre extrait d’Anawratha (30/11/06)
Glitter Lester, sur les livres de Lester Bangs (20/05/05) et sur Lester Bangs en général (18/02/06)…
Sur Georges Hassoméris (01/06/05)
Extrait de Chroniques des quais de David Wojnarowicz (30/07/05)
Sur Volume de Orion Scohy (26/07/05)
Sur Yapou bétail humain volume 1 de Shozo Numa (20/09/05) et sur le Prix Sade attribué à ce livre (18/11/06)
Sur Charles Pennequin (05/09/05)
Sur le Journal de mes sons de Pierre Henry (16/10/05)
Sur Star Trek, la série originale – Hé ouais (16/11/05) et sur les séries télé en général (08/04/06)
Sur R. de Céline Minard (02/11/05) puis sur La Manadologie, du même auteur, ici (découverte, 01/04/06) et (commentaire, 19/04/06), puis annonce de son livre Le dernier monde
Citations du Manifeste contra-sexuel de Beatriz Preciado (08/12/05)
Sur Éric Meunié, citation d’Auto mobile fiction (09/12/05), texte sur le même livre (22/12/05), citation de Poésie complète d’Éric Meunié,et citations croisées avec Comment faire disparaître la terre ? d’Emmanuel Pireyre (31/12/05)
Citation de L’Éternel retour de Michel Surya (10/12/05) puis commentaire (06/12/06)
Sur le travail de bande-dessinée réalisé par Jean-Jacques Rabu avec son personnage Fat Punky – scénarios Emmanuel Rabu (07/01/06)
Sur Gilles Barbier, plasticien (12/01/06).
Sur Oswaldo Gonzalez, photographe (17/01/06)
Sur Kathy Acker : extrait de La vie enfantine de la tarentule noire par la tarentule noire (19/01/06), extraits de Grandes espérances (16/07/06), sur Grandes espérances (25/08/06)
Sur un dessin de Béatrice Cussol (25/01/06)
Citation d’un texte de Daniel Foucard paru dans la revue Inculte 8 (26/01/06)
Citation de Millénaire mode d’emploi de J.G. Ballard (08/02/06) puis sur le même livre (26/03/06)
Citations de Mobiles de Vannina Maestri (10/02/06)
Citations de Christophe (le chanteur), 25/02/06
Citations d’Hélène Bessette : Ida ou le délire le 05/03/06,, Garance rose le 16/03/06, maternA le 10/06/06, Suite Suisse, le 26/11/06
Sur « Page 48 », un blog de Pierre Ménard & citation de la p. 48 de Roses & Poireau de Arno Schmidt, (12/03/06) puis sur Goethe et un de ses admirateurs de Arno Schmidt (01/05/06)
Sur L’argent, l’urgence de Louise Desbrusses (14/03/06)
Sur le site Coming-in créé par Stéphane Bérard (25/03/06)
Sur À vif de Jean-Paul Curnier (25/04/06)
Citations de Cavale de Nathalie Quintane (09/05/06) et commentaire (21/05/06)
Sur Henry Darger (26/05/06)
Sur Clément Rosset (16/06/06)
Sur et citations de Bardadrac de Gérard Genette (20/06/06)
Sur l’audioblog de Emmanuel Rabu & Sylvain Courtoux, confusion is text (17/09/06)
Sur Billy The Kid de Luc Moullet (21/09/06)
Poésie cœur de cible : lettre-vidéo à Julien Blaine (06/10/06)
Sur King Kong théorie de Virginie Despentes (11/10/06)
Sur Joël Hubaut, Re-mix épidémik Esthétique de la dispersion (29/10/06)
Extrait du Journal de Kurt Cobain (01/11/06)
Sur Matachine de Bruno Lemoine (01/11/06)
Sur l’opéra de Sylvain Courtoux : Vie et mort d’un poète de merde (03/11/06)
Sur la revue franco-allemande La Mer Gelée (04/11/06)
Ali G, vidéos, notamment avec Noam Chomsky (05/11/06)
Extraits de Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige d’Alban Lefranc (12/11/06)
Sur C’est mon vocabulaire qui m’a fait ça (traduction Éric Suchère, préface Nathalie Quintane) de Jack Spicer (20/11/06)

b- l’intime :


La subjectivité, l’intime n’apparaissent évidemment pas seulement à travers le prisme des notes critiques. Le blog est l’occasion d’un jeu de cache-cache avec les lecteurs à travers la dissémination d’informations personnelles et factuelles, la présence des photos et autoportraits ainsi que quelques private jokes se tentant polysémiques – ne recelant pas un simple intérêt to the happy few, du moins je l’espère (exemple le titre de post « love your enemiEs » le 4 septembre 2005 – avec le « e » majuscule de sa destinataire – qui parle en fait de la musique de Daniel Johnston ou encore on se calme et on boit frais le 15 septembre 2005, commentant le terme « poétesse » – suite à cette dénomination qui m’avait été donné dans un article de Libé – ou encore « message personnel » le 22 novembre 2005, à la fois chanson de Françoise Hardy… et message personnel…)

« Même si c’est vrai c’est faux » écrit Henri Michaux dans Plume.

L’intime est subrepticement dévoilé, avant d’être caché derrière autre chose, afin que l’on se demande sans cesse ce qui est vraiment de l’ordre de l’intime et ce qui ne l’est pas… comme ici.

Ce post est un parfait exemple de la prétérition à l’œuvre dans le blog : dire sans dire, l’effacement qui révèle, le masque transparent… L’air de rien, il dénonce nombre de mes pseudos utilisés par le passé (et dont on peut donc ainsi retrouver les productions) ainsi que mon véritable état-civil – avec tous ses prénoms de baptême.

On trouve aussi, souvent des textes frontières entre note critique et “autofiction”.

ROUGELARSENROSE recompose ainsi un journal à travers :
- le rappel des origines et des généalogies ;
- l’écriture d’états d’âmes, voire de coups de gueule ;
- la localisation géographique (les voyages, les lectures en province, etc.) ;
- la retranscription d’événements personnels (soirée, concerts, week end…) ;
- les reliefs quotidiens ;
- les posts qui s’excusent de ne pas nourrir le blog plus fréquemment en en donnant les raisons (professionnelles ou estivales) ;
- le sous-titre du blog, “versatile” = changeant, instable, susceptible d’évoluer, soumis aux fluctuations de la vie.

Outre la dissemination labyrinthique de ces informations personnelles, l’intime reside dans les photos exposées, plus particulièrement à travers la pratique de l’autoportrait.

c- une écriture en parallèle de l’écriture

ROUGELARSENROSE se développe pendant l’écriture de livres.
Le blog fait donc écho des nouvelles de publication et reflète parfois l’univers des livres, donne la circonstance de trouvailles de citations, par exemple, sans pour autant dévoiler le work in progress – jamais d’extraits destinés à être publiés, en cours d’écriture.

Par la suite, j’ai préféré séparer la fonction que l’on pourrait nommer « de communication » autour de mes propres livres de l’écriture du blog en créant deux autres interfaces, toujours blogs :

Le très explicite NARCISSOSHOW :
qui fournit ma biobibliographie ainsi que les articles de presse des articles consacrés à mes livres publiés.
Un titre cash pour un contenu qui l’est tout autant : l’exposé du je littéraire, médiatisé. Rien de très neuf, néanmoins, dans le domaine des sites personnels d’auteurs. C’est la face « pratique » du système.

Et le blog FONCTION ELVIS, créé comme une espèce de carnet d’écriture (comme on dit carnet de tournage) et de publication du livre. En retraçant certains déclics d’écritures, références, en exposant des variantes, des articles, des liens vers des émissions de radio, en montant des images iconiques, etc.

d- un horizon musical :

L’univers esthétique développé dans ROUGELARSENROSE ne s’arrête pas à la littérature mais évoque aussi la bande dessinée, les séries télé, la musique…

Ainsi la citation d’une chanson du groupe Stéréo Total, en écho et clin d’œil à un post précédent du même mois : « Nous ne sommes pas tous des romantiques allemands » ; ou encore diverses annonces d’actualités, de sorties, de concerts, etc.

Néanmoins, le blog tel que je le développe dans ROUGELARSENROSE m’a semblé limité pour faire découvrir des musiques que j’aime, tout simplement à cause d’une restriction technique : la possibilité de faire entendre des musique, en général non libre de droits.
C’est pourquoi, en ce domaine, je me suis tournée vers myspace musique, explicitement consacré aux échanges musicaux, avec l’accord des artistes.

e- les liens hypertextes (les voyages transversaux) :

ROUGELARSENROSE tente de s’inscrire dans une circulation permanente et offre donc de multiples possibilités de fuite de l’interface, à travers :

- les liens indiqués en permanence à droite du blog ; il y en a peu, néanmoins, car leur accumulation me semblait peu claire, j’ai donc créé :
- un répertoire de liens, classés par thématiques, sur delicio.us, permettant de découvrir des sites dans les domaines ou dénominations indiquées.
- enfin, souvent, les articles comportent des liens hypertextes particuliers. Comme exemple superlatif le post Pendant ce temps : chaque mot de la phrase : « Balade du dimanche » comporte un lien hypertexte.

f- les possibilités multimédias :

La possibilité de montrer des vidéos est expérimentée de manière assez acrobatique (je n’avais trouvé aucune solution automatisée, à l’époque, sur Mac) le dimanche 28 août 2005.

Cette vidéo-là montre un fragment d’espace personnel, une sorte de mémento mori un peu absurde sur fond de radio – un instantanné, donc.
De plus, il n’est pas anodin que dans ce blog pour la majorité consacré à un discours sur l’écriture, la littérature, ce soit cette petite vidéo de très basse résolution qui soit considéré comme un “moment poétique”.

Par la suite, les vidéos seront postées de façon beaucoup plus simple et spontanée depuis dailymotion ou youtube.

ROUGELARSENROSE, comme son titre, constitue une tentative de rencontre d’objectif et de subjectif.
L’objectif du LARSEN, qui surgit quand on ne l’attend pas pour troubler la mélodie.
Le subjectif du choix des couleurs, ROUGE et ROSE, des couleurs incarnées, girlies, brandies.

2- Le déplacement de l’intime ? Vers…

L’écriture !

… le même doigt qui montre la lune… ROUGELARSENROSE expose des extraits de textes autonomes, écrits en parallèle des livres. Des instantanés d’écriture.


3 - Autres détournements d’outils : la revue AMBITION, le blog UNDERGROUNDZERO


- AMBITION : une revue-blog :

Tout d’abord le titre : tout comme NARCISSOSHOW, AMBITION se voulait un titre ironique, en rapport à la prolifération d’interfaces consacrées à la diffusion, tous azimuts, d’écritures sur le web. AMBITION dit ce qu’elle dit en le disant : on veut écrire, on veut être lu et on le montre.
On ne m’a dit qu’après qu’il s’agissant aussi du titre d’une émission de Bernard Tapie dans les années 80… J’étais sans doute trop jeune pour m’en souvenir et/ou cette émission était diffusée sur l’une des chaînes qui n’était pas diffusée en Corse à cette époque-là. Bref, à chacun ses références.
AMBITION montre des travaux sur tous supports, des espèces de face B pour les artistes qui y sont invités : en général, les écrivains y montrent des vidéos, les vidéastes des textes, etc. Le dispositif d’AMBITION comprend également une interface BIOBIBLIOGRAPHIE afin d’avoir accès aux autres œuvres des artistes, ainsi qu’une rubrique LIENS IDEAUX - comme on dit « bibliothèque idéale » - chaque invité donnant une liste de sites à visiter.

Il n’est pas anodin que nombre de travaux montrés se rapportent à l’intime. Ou, tout du moins, miment un jeu autofictionnel. Par exemple, dans une certains mesure, la vidéo de Céline Minard ou le texte de Raymond Federman et celui de Lucille Calmel.

La parution de la revue est aléatoire, au rythme des friches temporelles pouvant subsister deci-delà…

- UNDERGROUNDZERO :
Ce blog détourné – à nouveau – collectait des écrits prélevés dans le métro, par-dessus l’épaule des voyageurs. Une espèce de journal objectif puisqu’il retraçait très précisément (avec mention d’heures et de stations de métro) tous mes déplacements. L’expérience s’est déroulée pendant un temps donnée, la contrainte étant difficile à tenir sur plusieurs mois sans devenir complètement obsessionnelle…

jeudi, novembre 30, 2006

Spéculaire



First one, je suppose… – là où on ne l’attend pas… Ah ! Ah ! Ah !
car brève évocation de tout à l’heure – une fois n’est pas.

Remarque n°1 : faudrait vraiment que ces migraines se calment, ça devient lassant à la fin.
Remarque n°2 : c’est bien quand les gens invités (non bloggueurs, en l’occurrence) connaissent ce dont ils parlent… (antiphrase)
Remarque n°3 : c’est encore mieux de papoter avec les autres – ceux qui vivent, écrivent, photographie, blogguent, etc. ce dont ils parlent…

« la majuscule s’absout, la métaphore se dénude et le nom s’absente »


A.-M. A photo C.R.J.


« L’AMOUR SUPRÊME »

Anne-Marie Albiach
(à/pour/avec Danielle Collobert)


… nul ne peut posséder son réel idéal
sinon dans la lumière créatrice…

Villiers de l’Isle-Adam


je peux sans doute dire elle, dans l’instant ; elle vit elle attend elle ne fuit pas : ce qui l’entourait devenait, pour le témoin occulté du même genre, donnée de plus en plus mortifère et nocturne – Admettons que la loi aveuglante de l’inscription qu’elle désirait s’obscurcissait à chaque élaboration, de par un mécanisme absorbant de l’Autre qui lui renvoyait en miroir « Survie » ;

Dans la peur peut-être mêlée de Désir, elle s’appropriait cette image multiforme qui ne transparaissait pas sur son corps intact. Cependant les inscriptions réitérées d’une certaine recherche d’équation appropriée aux doubles pulsions imprégnaient en elle, malgré l’éclat de sa chevelure, le dessein sourd, devenu irréductible, d’une CHUTE

Eux savaient qu’on ne pouvait parvenir au UN d’une diction pleine, et cette évidence, comme de par l’alimentation d’un feu mourant, tendait vers l’irréversibilité de la trajectoire sans même considérer la négation qu’elle prit en plein recul, elle recherche simplement l’anonymat des lieux de passage : fuir ce désir de plus en plus urgent, ou la tentation de faire coïncider les extrêmes ;

Le hasard d’une disparition de ce qui constituait telle force corporelle ou scripturale s’élaborait, sous-tendu par les Voix d’un Chœur mémorielles ; ainsi peuvent-ils se mettre en demeure de franchir des limites factices – Quelle est maintenant la différence entre limites factices et limites tangibles ? Cela dépasse ce que l’on pourrait dire « plusieurs livres », cela tiendrait peut-être d’un conditionnement textuel/social – et ceci sans conclusion, car comment en entrevoir.


Extrait de Anawratha de Anne-Marie Albiach > Spectres Familiers 1984 / Al Dante 2006.

Rebond

... l'on commence déjà à parler du Dernier monde de Céline Minard (Denoël, janvier 2006)...

mercredi, novembre 29, 2006

Claude

(fonction petite annonce : Hello Kitty cherche maison...)



Ravissant chaton mâle boule de neige de moins de 2 mois cherche esclave(s) dévoué(s) – références exigées ! – pour l’accueillir après son sevrage, à Noël...
Sa mère est une ravissante tigrée très fine, bavarde et joueuse. Son père qu’il ne connaîtra jamais est un matou-marlou blanc selon toute vraisemblance, sévissant du côté des bords de mer bretons, de séduction estivale de minette en séduction estivale de minette – avec quelques vols dans les cuisines et meurtres d’oiseaux, on n’en doute pas.
Le petit Claude – tel est son nom provisoire… ou définitif… – est d’un caractère doux, câlin et posé. C’est avec prudence qu’il explore le monde et recherche la compagnie des humains, côté fauteuils, pulls, canapés, jeans, coussins pour travailler son ronron.



Si…, contacter : ouvivraclaude@gmail.com

mardi, novembre 28, 2006

Sans tain

Philippe De Jonckheere parlait aujourd’hui (de vive voix) d’une mise en scène de Mesguich, vue à Lille, qui dévoilait, le temps d’une scène, les artifices d’un théâtre se dénudant de ses décors, exposant ses cintres, ses machines, ses câbles, dévoilant ses strates, ses profondeurs jusqu’à une porte vitrée, tout au fond, donnant sur la rue et laissant voir les passants dans le flux inexorable d’un temps qui n’est pas celui de la fiction. La collision brutale, commotionnante de ces deux mondes, séparés par quelques grammes de silice modifiée – après la fusion, le choix de la transparence et du silence relatif de l’image – le silence de celui qui regarde.

Visages étonnés de la rencontre du spectateur et du passant – l’attention versus le trajet.
En frontière, les acteurs.

Dans deux jours on parlera blog et on montrera du doigt sur estrade comme dans une sorte de biopsie, de relevé médical. C’est paradoxal la prise de conscience de l’exposition d’un objet créé, par définition, pour être exposé… Étrange, la nonchalance quotidienne de cette exposition… La collision de ces deux mondes séparés par quelques millimètres d’écran.

lundi, novembre 27, 2006

Pourquoi tant de blogs ?



Pour ceux que ça intéresse, une journée d'étude jeudi 30 novembre à la BNF (entrée libre) avec :

9h30 : Comment l'intimité est venue au journal
Par Philippe Lejeune, co-fondateur de l'Association pour l'autobiographie

10h15 : Tenir un journal intime (1830-1980)
Par Françoise Simonet-Tenant, maître de conférences à l'Université Paris XIII

11h15 : Editer des écrivains morts

Par Claire Paulhan, éditrice spécialisée dans la littérature autobiographique et l'histoire littéraire du XXe siècle, IMEC (Institut Mémoires de l'édition contemporaine) et journaliste au Monde des Livres

11h45 : Diaristes russes francophones (XVIIIe - XIXe siècles)
Par Catherine Violet, chargée de recherche à l'Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS)

12h15 : L'injonction intimiste
Par Philippe Artière, chercheur en histoire, CNRS/IIAC (Institut interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain) - EHESS

14h30 : L'explosion du phénomène des blogs « intimes »
Du cahier à l'autopublication en ligne : métamorphoses du journal personnel
Par Oriane Deseilligny, docteur en sciences de l'information et de la communication, pôle des Métiers du livre de Saint-Cloud, Université Paris X

Effets d'intime dans l'écriture réticulaire
Par Patrick Rebollar, maître de conférences, Université Nanzan (Nagoya, Japon)

15h30 : Du cahier à l'écran : qu'est-ce que ça change ?
Table ronde animée par Antoine Perraud, journaliste
Avec Philippe De Jonckheere, auteur du site désordre ;
Sylvie Gillet, éditrice, éditions Calmann-Lévy ;
Laure Limongi, écrivain, directrice de collection, auteur du blog rougelarsenrose ; Richard Figuier, éditeur en sciences humaines et sociales et Philippe Lejeune, Association pour l'autobiographie.

dimanche, novembre 26, 2006

Faces de crêpes



« Au tea-room je mets Porgy and Bess.
Je le mets deux fois de suite.
J’aime bien Porgy and Bess.
Je suis amoureuse de tous les grands artistes qui font des Porgy and Bess.
Pour un peu je m’y mettrais à l’anglais quand j’entends Porgy and Bess.
Et puis ça me bouleverse.
Je suis au bord des larmes. Encore une fois.
Je suis bien plus malheureuse avec Porgy and Bess
Que avec les Français.
Aussi je le mets deux fois.
Porgy and Bess.
Puis je craque une allumette.
Quel cinéma !
Un vrai film dans ma petite allumette rouge et jaune.
Je vais lui faire un procès à l’auteur.
Il a pris mon nom. Je me sens outragée.
Je ne suis pas une grande Noire.
Je suis une petite Blanche.
Je vais lui faire un procès.
Je le gagne.
Et je vis de mes rentes.
Je ne cherche plus du travail.
Je ne vais plus à la Police.
D’un geste désinvolte
J’envoie ma petite allumette par-dessus l’épaule.
Il y a un Smith qui la ramasse.
Poliment.
Les Smith sont comme moi. Ils vont au tea-room. Puis ils mettent Porgy and Bess.
Et le reste.
et
« Que sont devenues les fleurs ? »
Il y a un Smith qui n’arrête pas de mettre :
« Que sont devenues les fleurs ? »
Je suis obligée de supporter ça.
Pour enfin mettre
Porgy
and Bess
.
Je vais peut-être en faire un de Porgy and Bess.
Je veux dire un opéra.
J’essuie mon allumette et je continue de la fumer.
Je ferai ça avec Dothy.
Dothy c’est un chic type.
C’est un as.
Pour faire les opéras. Les films. Les concertos. Les symphonies.
Et tout.
Il est très intelligent.
J’aime bien être avec Dothy. Il voit les choses comme moi.
Par exemple Porgy and Bess. Il le met trois fois de suite.
Je lui dis
— C’est trop.
Il soutient que non.
Puis il dit qu’il va en faire un. Un. De Porgy and Bess.
Avec moi.
— À percussions. Dit-il.
Alors là.
C’est à crever.
Quand Dothy est parti sur la percussion. Il faut patienter.
Mon allumette une fois encore écrit au bleu de sa fumée. Que le rêve. Le rêve opéra est terminé.
La réalité éclaire les Smith en grappe. Sirotant des litres entiers de lait. Avec une paille.
Paraît qu’ils sont très dangereux les Smith.
Inquiétants.
Il paraîtrait que le collège aurait été supprimé d’une réunion pour indécence.
On a murmuré ce triste mot après moi.
C’est triste.
Je suis triste en regardant les Smith.
Voisinage périlleux pour « Chants d’Oiseaux ».
Vers 10 heures du matin le travail m’appelle.
Je lui réponds.
Je longe en flânant cette jolie promenade fleurie.
Le long du lac bleu.
Je contemple les voiliers pliés bien rangés. Se balancent. Tanguent. Dans un bruit de chaînes. De grincements. Avec le vent qui se lève. Tempête sur morceau d’Océan. Soudain bien démonté. Mâts et voiles à l’aventure. Vieille image inattendue.
J’achète un magazine. Au bord de l’eau solitaire. Je dénombre les images de la réalité.
Puis je me lève. Pour aller travailler.
Inopinément j’entre dans la salle à manger des Professeurs. (Des professeurs.) Je suis seule.
Madame R. F. buste penché sur son ardent passé entre à son tour.
— Bonjour. Je dis.
Elle m’ignore.
Puis toutes les Dames sont là.
Vite elles se mettent à parler. De leurs châteaux.
Du moins du château qu’elles ont eu. Ou du château de leur sœur.
Ou du château qu’elles ont mais qu’elles n’habitent pas. Elles parlent de leurs serviteurs. Du moins des serviteurs qu’elles ont eus. Ou des serviteurs qu’elles ont connus. Il paraît que ces Dames avaient des cuisiniers, des chauffeurs jadis (et toute la suite). Maintenant elles vivent en communauté. À 500 francs par mois. Ou 600. Tout retranché reste 430. Mais l’auréole du passé fait le reste.
Vient s’ajouter l’éternel décor du dehors. Là où s’ouvrent les hautes fenêtres de cette belle pièce. Sur les terrasses les pelouses les balcons les arbres d’ornement les allées bordées ombragées les parterres fleuris.
Aussi la superbe des Dames est-elle sans égale.
Je me demande si je dois parler des oliviers de ma sœur.
Ils ont gelé en 56.
Ça fait déjà moins bien des oliviers gelés.
Enfin je le dis.
Je parle des oliviers de ma sœur.
Ça ne va pas très bien.
On n’a pas l’air de me croire.
Surtout quand j’affirme qu’ils ont gelé.
Pour couper court Madame J.S. parle de leur cuisinier.
Paraît-il qu’il était très bon.
Puis tout le monde apprend que quelque part en Catalogne un étang romantique vient d’être transformé en piscine hollywoodienne.
Les oliviers s’effacent devant des gloires plus sûres.
L’affaire de la piscine nous la savons.
Mais à la cinquantième fois toutes les personnes très bien élevées sont absolument ravies et surprises de l’entendre.
Puisqu’il s’agit d’une affaire très importante qui mérite d’être connue je tiens donc à redire au cas où ce livre serait édité à trois mille exemplaires. Comme d’habitude.
Je tiens à redire.
Pour trois mille personnes possibles. Qui seront je le souhaite. Ravies et surprises. Il y a quelque par en Catalogne un étang romantique transformé maintenant en piscine grand luxe.
C’est la piscine de sa sœur bien entendu. »

Hélène Bessette, Suite Suisse (extrait)

vendredi, novembre 24, 2006

lundi, novembre 20, 2006

Jack Spicer de Nice



Dans C’est mon vocabulaire qui m’a fait ça (traduction Éric Suchère, préface Nathalie Quintane), on découvre un Jack Spicer vraiment féroce, n’épargnant rien ni personne, dont l’ironie est totalement délectable.

Ça casse.


« Ferlinghetti est une syllabe sans signification inventée par Le Poète. »

« Dis à chacun d’avoir les couilles
Fais-le toi-même
Ayez des couilles jusqu’à ce que les couilles
Pénètrent les marges »

« Merde, Robert Duncan, il y a seulement un bordel.
Un oreiller. Mais un seul tapine vers ce qui provoque la poésie
Leurs voix hautes
Leurs queues raides
Quand ils nous rencontrent.
Et c’est ça la rhétorique. L’avertissement le mien
Pas le leur.
Words-
Worth
Acquiesce
Il cumule bien
Poète gris
Département d’anglais dans son crâne. »

« Pute de Pound
S’étonna Homère »

« “Les slips de ce garçon“ est une référence évidente à Eurydice. »


Jack Spicer était un drôle de personnage qui croyait aux fantômes. Il pensait que c’était eux qui lui dictaient sa poésie. Ses fantômes n’étaient pas des substances éthérées à apparitions brumeuses mais des mots donnés. Un flux offert de langage. Dans le mystère de ce don. « Le poète est une radio. Le poète est un menteur. Le poète est une radio à contrepoing. » Les Caspers de Spicer - comme les appelle Quintane - sont des subterfuges bien pratiques qui permettent autant de prosopopées en guest stars – Federico Garcia Lorca, par exemple, en correspondant post mortem.

Les poèmes de Jack Spicer ne sont pas satisfaits d’eux-mêmes. Leur créateur avait fréquemment tendance, dit-on, à tout vouloir jeter aux orties. D’où le rapport polémique permanent qui s’instaure entre ce qui est écrit et le geste l’écrivant. La pompe et la baudruche crevée, dans une dialectique ricanante. L’auteur fait ainsi mine de livrer le poème et un supplément : une lettre l’accompagnant ou son commentaire – mais c’est pour mieux nous leurrer mes enfants. La lettre comme art poétique surjoué. Le commentaire détournant sa fonction d’explication et créant un nouveau texte d’une grande férocité parodique.

Le poème est toujours en miroir de lui-même, en interrogation permanente et instable dans une composition sérielle qui nie toute notion de grand’œuvre démiurgique. Un lieu qui dérange et déroute.