Il doit faire bon vivre à Montreuil, en ce moment… – Antiphrase, pour ceux qu’auraient pas compris… Joachim Gatti est frappé – trois fractures au visage, le globe oculaire fendu en deux, la paupière arrachée – par une flashball en pleine tête pendant une manifestation festive et pacifique – j’imagine que la perspective de prendre un gnocchi cru – ou même cuit, horreur ! malheur !!! – sur le casque paraissait totalement insoutenable aux CRS dépêchés afin de disperser ces horribles cuisiniers amateurs dont le synonyme habituel dans l’argot des gens armés portant du bleu marine et se coiffant très court est « sale gaucho » – ce dictionnaire spécialisé ne comportant qu’une trentaine d’entrées, faut pas leur en vouloir si quand la consigne est « ne pas frapper au-dessus de la taille », ben justement, ils frappent au-dessus de la taille…
Dans la presse, via le dieu AFP qu’on recopie souvent à la va-vite, on apprend le lendemain de cette bavure – qui n’est pas reconnue comme telle – qu’un « jeune homme d’une vingtaine d’années, qui occupait, avec d’autres personnes, un squat évacué mercredi à Montreuil (Seine-Saint-Denis), a perdu un œil après un affrontement avec la police ». On félicite les « sources concordantes » dont se justifie l’AFP – on imagine qu’elles s’habillent comme Robocop, version bleu marine. Or, Joachim Gatti est un réalisateur et acteur de 34 ans – toujours jeune, j’en conviens, puisque j’en ai 33, mais il n’a pas 20 ans… Son père, Stéphane Gatti, a rétabli la vérité dans une lettre – dont vous pouvez lire l’intégralité ici : « Il n’habitait pas au squat, mais il participait activement aux nombreuses activités de la clinique. Il est cameraman. Il fabrique des expositions et réalise des films. Le premier film qu’il a réalisé s’appelle Magume. Il l’a réalisé dans un séminaire au Burundi sur la question du génocide. Aujourd’hui, il participe à la réalisation d’un projet dans deux foyers Emmaüs dans un cadre collectif. »
Le message est donc clair : ne manifestez pas, et surtout pas pacifiquement. Quoi que vous fassiez, qui que vous soyez, les flashball, on les tirera à hauteur de tête. On ne veut en voir qu’une seule, de tête, et on veut la rendre aveugle. Ainsi vous ne verrez pas. Tout ce qui est détruit, autour de vous. Tout ce qu’on bafoue. Tout ce qu’on oublie. Et vous la baisserez enfin, cette tête, tandis que seuls nos casques brilleront sous un ciel trop bleu – marine, de préférence.
Eh bien non, voyez-vous, la tête, on ne la baissera pas. Et même s’il ne nous reste qu’un œil, on verra, on dénoncera, on protestera. Le grand-père de Joachim Gatti, Armand Gatti, a été résistant, condamné à mort (gracié en raison de son âge), déporté (évadé), parachutiste (médaillé), journaliste (couronné du Prix Albert Londres), cinéaste, écrivain-dramaturge-metteur en scène, entre autres choses… Aujourd’hui, il anime La Parole errante à la Maison de l’Arbre, à Montreuil, avec Hélène Châtelain, Stéphane Gatti et Jean-Jacques Hocquard. Un lieu associant, dans une production artistique, l’écriture, le théâtre, la musique, la peinture, la vidéo et le cinéma.
Nous sommes tous porteur de cet héritage de conscience et de résistance. De force de vie et d’action. Le moins que nous puissions faire est d’en être digne et de faire respecter les droits et devoirs de la démocratie.
De nombreux supports de presse, de nombreuses personnes ont relayé cette histoire révoltante. Je vous invite à lire – entre autres – Vacarme, Le Monde, Le Tiers Livre. Vous pouvez aussi signer la lettre de soutien initiée par Nicole Brenez et Nathalie Hubert.
Hier – actualité moins sanglante mais néanmoins révoltante –, j’apprends que ce sont les Instants Chavirés qui sont menacés, toujours à Montreuil. Pour ceux qui ne connaissent pas les Instants, c’est, depuis 1991, un lieu irremplaçable pour les musiques improvisées, expérimentales et bruitistes. Un lieu où, pour pas cher, on peut faire des découvertes phénoménales en sirotant un jus de gingembre maison. On y a découvert – la liste n’est pas complète, il s’agit simplement des artistes que je connais : Keith Rowe, Charlemagne Palestine, Don Caballero, Michel Doneda, Frédéric Le Junter, Tom Cora, Keiji Haino, Joëlle Léandre, Lê Quan Ninh, Taku Sugimoto, Thierry Madiot, Eric Cordier, The Nihilist Spasm Band, Jean-François Pauvros, Otomo Yoshihide, Labradford, Zbigniew Karkowski, Heliogabale, Sachiko M, Sun Plexus, Christian Marclay, The Ex, John Butcher, Carlos Zingaro, Bob Ostertag, Beñat Achiary, Jérôme Noetinger, Borbetomagus, Annette Krebs, Elliott Sharp… Mais aussi des soirées consacrées à la poésie sonore, par exemple : dans son annexe, l’ancienne brasserie Bouchoule, nous est proposé un autre regard autour des arts visuels et sonores.
Oui mais voilà, le fait de faire découvrir Keith Rowe, Charlemagne Palestine, Don Caballero, Michel Doneda, Frédéric Le Junter, Tom Cora, Keiji Haino, Joëlle Léandre, Lê Quan Ninh, Taku Sugimoto, Thierry Madiot, Eric Cordier, The Nihilist Spasm Band, Jean-François Pauvros, Otomo Yoshihide, Labradford, Zbigniew Karkowski, Heliogabale, Sachiko M, Sun Plexus, Christian Marclay, The Ex, John Butcher, Carlos Zingaro, Bob Ostertag, Beñat Achiary, Jérôme Noetinger, Borbetomagus, Annette Krebs, Elliott Sharp et de nombreux autres musiciens, des pièces de poésie sonore et d’art visuel contemporain à un large public, le fait de créer une dynamique de création inédite à Montreuil, un rayonnement international – la fameuse « qualité de l’image » dont les élus se préoccupent tant, vous savez ? « Ya pas que des kaïras, ya des gens qui bossent »… À Montreuil, les Instants Chavirés y œuvrent davantage que les institutions… –, ça, le Conseil général de Seine-Saint-Denis et la ville de Montreuil n’en ont apparemment rien à foutre puisque le budget des Instants Chavirés est réduit de 32 000 euros cette année, ce qui contraint les organisateurs à annuler l’intégralité de la programmation de l’automne. Si comme moi, cette situation – je sais, beaucoup d’autres, aussi – vous révolte, vous pouvez signer une pétition de soutien à cette adresse, voire écrire une lettre à l’attention de Monsieur le Président du Conseil général de Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone, et/ou de Madame le Maire de Montreuil, Dominique Voynet et l’envoyer par email à l’adresse : soutiens@instantschavires.com ou par courrier aux Instants Chavirés, 7 Rue Richard Lenoir 93100 Montreuil.
Zavez compris, j’aime pas le bleu, et surtout pas marine.
Bande son de ce texte :
– Tout autour de Vaduz de Bernard Heidsieck (cliquer sur « extrait », vous pouvez aussi en profiter pour acheter le livre/disque ou le faire acheter par votre bibliothèque ou vous le faire offrir pour votre anniversaire… C’est une des plus belles pièces de poésie sonore que je connaisse…)
– Une chanson de Mobiil (même parenthèse, version musique).