Question de fab, épisode 1
J’imagine que de loin on pense que la conception physique (relecture, correction, maquette, couverture, suivi de fabrication…) d’un livre se fait relativement rapidement et sans douleur. Ou peut être que certains ont cette chance – réaliser toutes ces étapes rapidement et sans douleur. Moi pas. Douleur est exagéré, bien sûr. Disons plutôt obsession maladive du détail, réveil en sueur à 4 heures du matin en criant « page 86 ! » (et en découvrant le lendemain une coquille à la même page… assez flippant…), traquer les fautes de toutes sortes, vérifier la syntaxe, la concordance des temps, l'utilisation de la ponctuation, heures passées à peaufiner la maquette, remplacer les espaces avant certaines marques de ponctuation par des demis insécables, régler les coupes, éliminer systématiquement ces pauvres veuves et orphelines, choisir, entre deux maux (une dernière page de chapitre avec seulement trois lignes ou une quasi orpheline 3 pages auparavant) le moindre, éventuellement se maudire d’avoir choisi une police bâton jolie mais difficile à travailler (car créée pour le titrage), supprimer les folios superflus, vérifier la pagination, vérifier encore la pagination, ajouter les seuils qui permettront de parvenir à un multiple de 32 (nombre de pages dans un cahier) donc ajouter éventuellement page de faux titre, page « du même auteur », page « dans la même collection », créer l’achevé d’imprimer, éventuellement appeler l’imprimeur pour lui dire que finalement le livre ne fera pas tant de pages mais tant, calculer le prix de vente possible à l’unité d’après l’ensemble des coûts du livre, se renseigner sur « l’atterrissage » du livre (objectif de mise en place) auprès du diffuseur pour ajuster le tirage, passer à la couverture, placer correctement le titre sur l’image ou l’illustration, éventuellement se maudire d’hésiter entre plusieurs solutions sans élire la bonne immédiatement, vérifier que l'image soit bien en TIFF et en CMJN (ou la passer en TIFF et CMJN en contrôlant l'évolution de couleur par rapport au RVB), vérifier la colorimétrie de l’image ou de l’illustration, choisir le Pantone ou la couleur quadri de titrage qui correspond, placer ensuite le logo, prévoir le trait du mors collé sur la 1ère de couv, régler le dos, créer puis régler l’approche de la 4e, placer les filets, le prix, le code barre, le © de l’image ou de l’illustration, vérifier le code EAN (je dis abusivement EAN par habitude mais c'est en fait l'ISBN 13 qui équivaut à présent au code EAN) dans l’achevé d’imprimer du livre et sur la 4e de couv, vérifier le code EAN dans l’achevé d’imprimer du livre et sur la 4e de couv, vérifier le code EAN dans l’achevé d’imprimer du livre et sur la 4e de couv, vérifier le code EAN dans l’achevé d’imprimer du livre et sur la 4e de couv (ça, je peux le faire une bonne dizaine de fois…), imprimer la couverture en A3 pour pouvoir la tracer et vérifier les coupes, vérifier à nouveau la pagination de l’intérieur du livre, intégrer éventuellement les derniers ajouts de l’auteur ou retrancher ses repentirs (et donc, régler à nouveau la maquette en vérifiant à nouveau les chasses, la pagination… et puis tant qu'on y est le code EAN et la place des folios), relire une dernière fois avant d’envoyer les fichiers à l’imprimeur, les envoyer finalement avec angoisse (le sentiment de l’irrémédiable), contrôler soigneusement les fichiers B.A.T. page par page, vérifier une dernière fois la pagination, vérifier le code EAN dans l’achevé d’imprimer du livre et sur la 4e de couv (ad. lib.), contempler l’ensemble, couverture et intérieur, en espérant que par miracle une dernière coquille maligne saute enfin au visage, en avoir marre d’attendre l’illumination et finir par envoyer un « bon à tirer » à la fois soulagé et terrorisé (le sentiment de l’irrémédiable), expérimenter la déréliction sans jardin des oliviers (« livre, livre, pourquoi m’as-tu abandonnée ?! »), aller au calage de la couverture pour contrôler la balance des couleurs ou la recevoir avant montage et façonnage, attendre la réception du livre et frôler l’arrêt cardiaque à l’ouverture du carton…
Et après, on dira qu’un livre n’est pas un objet magique…
6 commentaires:
Tout ça c'est bien joli, mais as-tu pensé à vérifier le code EAN dans l’achevé d’imprimer du livre et sur la 4e de couv ?
M***e, j'y cours !
Les tiens le sont, au résolu !
Tiens : je m'y lis même moi-même !
Merci Dona Sol.
Tu me donnes super envie de me lancer dans l'édition…
Attendre, pas longtemps, l'ami qui repère l'orthographe erronée du prénom de l'auteur ou du titre dans la page de garde, qu'on ne voit jamais tant il est évident que c'est celui qui est associé à nos angoisses depuis quelques mois, Ça va de soi!.
Si c'est un ami compétent, il/elle évitera le "Pourtant ça crève les yeux!".
Ce que Jean-Marc Destabeaux propose d'appeler 'editing' est un travail d'équipe qui exige un (des) regard(s) neuf(s), neutralisé(s), aux étapes de finalisation. Un regard qui sait faire abstraction de la plupart des éléments constitutifs du phénomène qu'est la manifestation de l'œuvre pour se concentrer sur une série de détails.
En effet, j'imprime la couverture définitive en A3 et je la donne à lire à mes bien-aimés collègues Julia et Florent, pour vérification (sachant qu'ils travaillent pour d'autres collections et n'ont donc pas assisté à l'élaboration du livre).
Quant à l'intérieur, quand j'ai opéré trop de corrections (et pressens que certaines erreurs m'échapperont en raison d'une trop grande proximité du texte), je fais appel à une deuxième lecture extérieure.
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