jeudi, juin 29, 2006

« Pour un bazar, c’est un bazar »*



Jacques Sivan, Le Bazar de l'Hôtel de Ville
Éditions Al Dante


{* citation de Hélène Bessette}

Été intérieur

dimanche, juin 25, 2006

Food for animals & Afrirampo



Bon, on voit pas grand chose et on n’entend rien mais c’est quand même très bien…



& ça aussi…

(mais aujourd’hui il pleut et mon dernier Kway est en taille 12 ans…)

mardi, juin 20, 2006

Barbatruc



… Je me souviens de ma fierté d’avoir eu pour médecin généraliste à la fin des années 90 un certain Gérard Genette (ainsi qu’une Docteur Michèle Minou en guise de gynéco à la même époque), contemplant sans m’en lasser ses ordonnances et refilant l’adresse à mes petits camarades littéraires l’abordant d’une mine réjouie malgré les petits bobos, rhumes, gastros, douleur à droite, à gauche, déprime… Le même nom auscultant textes et corps.

Lisant Bardadrac du Genette d’origine, si je puis dire – celui des Figures, de Palimpsestes, etc. – je me dis qu’ils doivent être vaguement cousins et que ce redoublement de G. G. convient bien à l’obsession gémellaire qui hante un abécédaire mémoriel au nom de formule magique…

Ça fait donc tout drôle de lire un Gérard Genette « non technique », faisait défiler des figures du souvenir au rythme de leur apparition, mêlant politique, rêveries géographiques, amours, généalogie, blagues rhétoriques, engagement, icônes surannées, goûts musicaux…

« Mépris. Soyez économes de votre mépris : peu de gens en sont dignes.

Méprise. Base, on le sait, de la plupart des relations humaines. Mais on doit bien en outre convenir de ceci : lorsque quelqu’un se trompe sur vous, c’est sans doute que vous vous êtes trompé sur lui. Tout sentiment n’est pas réciproque, mais toute méprise est double.

Merguez. Je tiens de Jacques Derrida, qui les tenait lui-même de son enfance à El-Biar, deux histoires drôles dont la portée philosophique me semble assez claire.
Un pied-noir en voie d’installation en “ métropole ” va trouver un ancien condisciple devenu roi de la merguez sur la place de Paris, pour lui emprunter une assez grosse somme ; le copain l’écoute en silence, puis le conduit vers la fenêtre et lui montre, de l’autre côté de la rue, l’enseigne d’une agence du Crédit Lyonnais : “ Tu vois cette banque ? Eh bien, j’ai un deal avec eux : ils ne vendent pas de merguez et moi je ne prête pas d’argent. ”
Un autre marchand de merguez, qui exerçait à Bab el-Oued avant les “ événements ”, pose sur sa devanture l’écriteau : “ Aux meilleures merguez du quartier. ” Son concurrent d’en face réplique en posant : “ Aux meilleures merguez de la ville ”. Le premier rétorque en “ Aux meilleures merguez d’Algérie ”. Le concurrent croit remporter une victoire définitive par “ Aux meilleures merguez du monde ”. Difficile au premier de surenchérir par extension, mais il lui reste la carte de la vraie modestie : “ Aux meilleures merguez de la rue. ”

Messe. Dans les minutes qui suivent l’annonce de la mort du pape Jean-Paul II, la télévision montre en direct quelques images d’une messe en cours comme si de rien n’était. Un journaliste s’étonne du fait. Un ecclésiastique de service sur le plateau, évidemment sans intention satirique, bien au contraire, explique : “ Que voulez-vous, comme on dit, The show must go on. ” Comme on dit, tout est dit.

(…)

Passer. Dans les austères années soixante-dix, une publicité Rodier montrait une jeune femme perplexe : “ J’écrirais bien un livre, mais je ne sais pas quoi mettre pour passer chez Pivot. ” Aujourd’hui, la bonne question est plutôt : “ Je ne sais plus quoi enlever pour passer à la télé. ” Dans le doute, enlevez tout, et ne vous croyez surtout pas obligé/e d’écrire un livre : de toute façon, il n’en sera pas vraiment question.

(…)

Philippine. Autant que je m’en souvienne, on appelait “ faire philippine ” le fait de trouver, imbriquées comme des fœtus jumeaux dans leur nid commun, deux amandes, dites alors “ amandes philippines ”, dans la même coque ; ou plutôt, le rite à deux qui s’ensuivait, et qui consistait à dire “ Bonjour Philippine ! ” sous je ne sais plus quelle condition, pour gagner je ne sais quoi – un baiser, peut-être. Le plus mystérieux était évidemment la relation entre la chose et le mot, dont j’ai su bien plus tard qu’il procédait simplement, par fausse étymologie, de l’allemand Vielliebchen (bien aimé). Ce qui d’ailleurs n’explique rien.

Photocopie. Encore au début des années soixante, je ne pratiquais (en sans doute ne connaissais) que le papier carbone, et la machine à ronéoter au moyen de ce pochoir en fines feuilles paraffinées qu’on appelait stencil – du coup, l’emploi plus vaste de ce mot en anglais, quoique parfaitement logique, me trouble toujours un peu. La ronéo à manivelle, qu’on appelait inévitablement Juliette, était la mère de toutes les militances. Son extinction, avec celle du prolétariat industriel, mit un terme à l’espérance révolutionnaire. Sa remplaçante, appelée photocopieuse, était dépourvue de toute aura, mais non de tout sex-appeal. Le première que j’ai vue, au cours d’une “ mission ” en pays plus avancé, ronronnait dans le bureau d’un joyeux apparatchik diplomatique qui m’en fit l’éloge (mais non la démonstration) en ces termes : “ Asseyez là-dessus votre étudiante préférée, et vous ne regretterez pas votre investissement. ” Le rayonnement de la culture française était assuré. Ne marche plus sur imprimante à jet d’encre. Préférez toujours l’original. »

Bardadrac de Gérard Genette, Le Seuil, coll. Fiction & cie.

vendredi, juin 16, 2006

« Aux Mongiens, qui m’ont informé de mon existence »*


Photo de Alison Jackson.

Ce qu’il y a de bien, avec Clément Rosset, c’est qu’au lieu d’asséner un pavé labyrinthique, voire deux ou trois, avec force index et bibliographies, mine de rien, il pose une pierre après l’autre, pavés dans la mare philosophique qui permettent de traverser la rivière du réel à sec, étape après étape, tout en profitant du paysage bruissant qui nous entoure sans s’y égarer (ou bien en connaissance de cause) : ombres, reflets, échos, reproductions diverses du réel... C’est donc sans peurs et sans complexes qu’il nous fait aborder l’imbroglio du réel, en toute simplicité.

Ça fait 40 ans que ça dure, avec 13 livres chez Minuit, 8 aux PUF, 3 chez Gallimard, quelques autres et d’autre encore sous pseudo (l’effet Laffont ?) et on ne s’en lasse pas.

Au-delà du plaisir de lire de la philosophie intelligente et généreuse (loin des pseudos penseurs dont l’amphigourie masque les raisonnements captieux !), l’impression de fouiller dans une armoire oubliée et d’y dénicher des trésors. Clément Rosset nous fait partager des trouvailles littéraires ou artistiques qui valent souvent leur pesant de concept.

Ainsi, dans le dernier paru, Fantasmagories (suivi de Le réel, l’imaginaire et l’illusoire), outre les photographes Joan Fontcuberta, Warren Neidich et Alison Jackson (et bien d’autres choses), on découvre ou redécouvre sous un nouveau prisme un drôle de livre, Les queues de Kallinaos de Hubert Monteilhet :

« Sir Randolph Melrose, lord anglais originaire d’Irlande, serait le père comblé d’une adorable fille ardemment désirée et née à Londres en 1809, Parthénope, s’il n’avait le malheur de perdre sa femme, qui meurt pendant l’accouchement, et surtout de constater que Parthénope est dotée à sa naissance d’une queue prolongeant sa colonne vertébrale, à la manière d’un quadrupède ou d’un singe. Consultés, théologiens et chirurgiens déconseillent formellement une intervention chirurgicale qui, assurent-ils, risquerait de tuer l’enfant. Affolé de douleur à l’idée des tourments qui attendent sa fille dès que celle-ci serait en âge de constater son anormalité, sa queue qui grandit au fur et à mesure que Parthénope croît elle-même en grâce et en beauté, sir Randolph imagine un plan fou, inspiré dit-il d’une page drolatique de Suétone, qui est en réalité un pastiche dû à la plume de Monteilhet et conçu pour les besoins de la cause : puisqu’il ne faut à aucun prix que Parthénope découvre qu’elle est le seul être humain à posséder une queue d’animal, son père lui fabriquera de toutes pièces un monde factice où tous les êtres humains ou représentations d’êtres humains qu’elle pourra observer seront munis d’une queue artificielle. Tâche immense et apparemment irréalisable, à laquelle l’obstination irlandaise de Sir Randolph finira cependant par venir à bout ; il y faut du temps (mais l’âge tendre de Parthénope, qui va sur ses trois ans, en accorde) et de l’argent (mais Sir Randolph n’en manque pas). Il s’agit d’abord de trouver et d’aménager un site suffisamment isolé pour qu’on n’ait pas à redouter l’arrivée d’intrus, suffisamment proche cependant de quelque terre habitée pour qu’on puisse en assurer le ravitaillement et recevoir quelques visites « organisées », avec l’aide de gens sûrs et dûment munis de queues. Tous ses habitants, mâles et femelles, devront y être pourvu d’une queue paraissant naturelle, tenant au derrière probablement grâce à une colle assez forte pour qu’elle ne risque pas de fondre au soleil, circonstance à craindre sous les latitudes du lieu finalement retenu. Le cadre choisi pour l’aménagement de la supercherie sera Kallinaos, île grecque imaginaire assez grande pour qu’on puisse y demeurer à l’aise et assez petite pour qu’on puisse la surveiller de près. Il faudra naturellement en éloigner, moyennant finance, les quelques habitants originaires de l’île qui ne tiennent guère à se voir imposer le port d’une queue aussi disgracieuse qu’encombrante. Il faudra aussi effacer de l’île toute trace d’une humanité dépourvue de queue ; détruire donc tout portrait, sculpture ou dessins compromettants. Il faudra encore y accumuler des objets propres à suggérer, dans l’esprit de Parthénope, l’idée d’une humanité munie de queue : fausses poupées, faux livres, faux journaux, faux évangiles, etc. (…)
Cette entreprise de Sir Randolph, qui s’obstine à créer de toutes pièces un monde factice plutôt que d’essayer de s’arranger avec la réalité, substituant ainsi au règne de ce qui existe le règne de ce qui n’existe pas, est évidemment une contrevenance majeure à la troisième maxime de la morale par provision de Descartes, énoncée dans Le Discours de la méthode : « Tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde ». (…)
On observe tout au long du livre une illustration du caractère nécessairement inflationniste du mensonge {jusqu’au jour où} un jeune naufragé, entièrement nu, débarque dans l’île sous les regards étonnés de Parthénope qui cherche en vain à voir sa « queue ». Circonstance aggravante : il s’agit de Charles Darwin alors seulement âgé de dix-huit ans certes mais déjà quelqu’un à qui on ne la fait pas… » (p. 22 à 27)


* Titre tiré de Loin de moi de Clément Rosset, citation de Marcel Cogito de Marc Wetzel.

jeudi, juin 15, 2006

Bababa®



En petits caractères au dos des étiquettes de Babybel®, il est inscrit « à consommer en plusieurs bouchées ». Babybel® – la firme – est donc contre une absorption gloutonne de Babybel® – le produit – à l’unité. Babybel® ne veut pas entendre parler de gens qui enfourneraient, comme ça, des Babybel® en entier, parleraient la bouche pleine avec les dents pleines de fromage, voire, boiraient, entre deux déglutitions grumeleuse de Babybel®. Babybel® énonce un bien-manger du Babybel®, divisable, donc, en plusieurs bouchées.

(Babybel® ne le précise pas, mais cette division peut s’effectuer directement dans la bouche grâce au tranchant des dents ou à la main, tirant sur la matière élastique jusqu’à sa rupture pour confectionner de petites portions de Babybel® propres à être mâchées).

Outre cette éthique de dégustation, on ne peut s’empêcher de penser au syndrome Bush-Bretzel® et d’imaginer toutes ces morts absurdes par absorption inconséquente de Babybel®. Des Babybel® coincés dans des trachées, des Babybel® qui empêchent l’air de passer, des Babybel® qui étouffent leur consommateur. Leur entourage essaie de les secourir ; ayant regardé Urgences®, un proche tente de percer la gorge avec un Bic® démonté… et au lieu d’offrir l’arrivée d’air salvatrice tombe sur ce maudit Babybel® qu’il ne peut même pas déloger en tirant dessus comme avec un tire-bouchon (trop gore même pour un téléspectateur assidu)…

Vanité des temps modernes, Babybel®, soleil vert d'époque...

samedi, juin 10, 2006

Exactement



Enfin une pause après quelques semaines marathon particulièrement euphoriques, néanmoins.
Le surmenage est une drogue comme une autre, efficace.
Ça tombe bien – ce decrescendo léger – c’est l’été et une espèce de groupe aré krishna défile sous ma fenêtre en grelots, tambourins et chansons… (tout est normal) concurrençant mes propres mélodies – au grand dam du chat qui n’aime ni le chant ni la chaleur…

D’où une envie irrésistible de barboter dans la mer avec pour seul dilemme l’indice de protection à choisir… mais ce n’est pas pour tout de suite (et c'est un horizon vite épuisé).

Pleine bessettisation, en attendant, et relecture du cruel/cadencé/féminin/adéquat maternA – speciale dedicace :


« Si la conversation roule ininterrompue, étalée sur des semaines, sur des mois, sur des jours, sur des heures, et si le ruban du A se déroule et s’enroule au hasard des portes ouvertes et refermées, le dialogue, le monologue, le chant se poursuit dans l’air lourd de mots de
La cour aux mille obstacles.
Iola fredonne.
— Elle est heureuse pensent les femmes, ses amours vont bien. Car une femme ne peut chanter que par le bonheur que lui procure un homme. Il ne vient pas à leur idée que Iola peut fredonner par celle légèreté de cœur qui est la tranquillité d’esprit.
Si elle chante c’est qu’elle est heureuse en amour (ou du moins qu’elle croit l’être, c’est ce que nous verrons).
— Je rase mes poils, déclare Iola.
— Elle veut plaire, chantent les femmes.
— Ne le faites-vous pas ? demande Iola.
— Nous ne cherchons pas à faire des touches, nous, disent vulgairement les femmes.
Ah ! elle pourrait faire « une occasion » disent-elles moqueuses.
Et le rire vulgaire accompagne le pli amer de leur bouche médiocre.
— Toutes les femmes propres se rasent les poils, remarque Iola.
Les femmes se taisent parce que c’est ainsi qu’il fallait leur répondre, on vient de sous-entendre qu’elles sont sales.
À leur sous-entendu grossier il faut répondre par un sous-entendu grossier.
Elles sont vexées mais d’une vexation sans rancune parce qu’elles
comprennent.
Iola vient de parler leur langage.
C’est le jeu des femmes.
On va finir par s’entendre.
S’il s’agit simplement de renvoyer la balle.
C’est le monde des vanités froissées, des jugements hâtifs, des grossissements stupides, des glaces déformantes, des morceaux de quartz non taillés qui renvoient des images fantaisistes.
Le petit monde de l’amour-propre ulcéré, à vif.
— Vous dites cela pour moi.
— Je croyais que vous disiez cela pour moi.
Elles ne savent pas ce qu’est une parole directe.
Elles ont peur d’une parole directe.
Elles craignent le mot juste.
Car l’intelligence qui donne les paroles directes leur fait défaut, elles ne sont pas en mesure de répondre.
Elles se cantonnent dans le petit monde flou, des dessins pâles, des mots tronqués, des doubles phrases. Pour

CACHER, CACHER.

PEUR
ATROCEMENT PEUR. »


maternA, Hélène Bessette (p. 177 à 179).