lundi, août 25, 2008

Valérie par Valérie par Valérie

Je m’appelle Valérie. Dans ma position, il suffit d’avoir un prénom. Je m’appelle Valérie et j’ai été une éphémère héroïne de téléréalité. Ma mission était de séduire un gentleman célibataire, devant caméras. Je publie un livre à la rentrée – je connaissais le rythme des collections de mode et des saisons de séries télé, plus jeune, celui des rentrées scolaires, pas celui des « rentrées littéraires » – enfin, plus exactement La Rédaction a été mon nègre, comme on dit. Ou encore, La Rédaction s’est travestie, elle a volé ma voix, ma nuance de décoloration, fréquenté ma manucure… mais toujours on remarquera les épaules très carrées, la pilosité épilée, le timbre grave sous les énoncés légers. Il n’y a qu’à regarder la photo de couverture : visage masculin, plastique de realdoll, j’étais faite pour être habitée.
La Rédaction a donc joué les incubes.
« La Rédaction n’est pas une société secrète.
La Rédaction agit selon ses méthodes. Elle surveille les productions langagières ; elle teste, vérifie, démonte tous les mécanismes discursifs ou narratifs.
La Rédaction évite l’écriture.
L’activité déclarée de La Rédaction consiste en ce qu’elle rédige. »
Voici sa définition par l’un de ses agents, le plus visible, Christophe Hanna (auteur des Petits Poëmes en Prose chez Al Dante en 1998). Définition qui rejoint peu ou prou la position de Delphine, dans le livre : « … la plupart de nos fictions ridiculisent nos expériences, le cinéma à histoire et les romans l’exaspèrent et (…) elle [Delphine] préfère le genre assertif direct (moral par exemple… » La Rédaction est donc une agence comme de style ou de publicité, une agence de rédaction, à votre service – du moment que vous constituez un terrain d’expérimentation intéressant. La Rédaction s’est lovée dans ma silhouette pour écrire ce livre, et voilà que Laure Limongi fait de même pour écrire un article sur ce même livre, mimant les procédures de La Rédaction… J’ai l’impression qu’on réalise des poupées russes avec mon propre corps et mon propre visage. Certaines vies sont des destins peuplés de signes étranges. Par exemple, il m’aura fallu presque trois exemplaires de Valérie par Valérie pour écrire cette courte présentation : le premier que m’a envoyé Anne-Laure, je l’ai perdu mystérieusement le jour même dans un bar du VIIIe arrondissement. C’est la première fois que je perds un livre. (Cela ne veut pas dire que je transporte peu souvent des livres dans mon sac, au contraire.) L’ambiance était étrange avec tous ces cols blancs – aurait-on dit dans les années 80, à présent, il s’agit de jeans chic – à moitié saouls qui me mataient depuis le bar, la barmade me promettant de me révéler le nom de mes admirateurs à ma prochaine commande. Bref, j’ai exhibé Valérie à mes amis et quand j’ai quitté le bar – sans connaître, sciemment, l’identité de ces fans –, elle avait disparue… J’ai envoyé un coursier à Anne-Laure le lendemain pour en récupérer un autre exemplaire – j’avais strictement la même pose, en couverture, avec ce gloss rose marquant les plis de mes lèvres. Et j’attends l’exemplaire que La Rédaction doit me dédicacer. Soit 60 euros en tout – si on se réfère au prix public de vente T.V.A. comprise, ce qui doit donner dans les 3, 50 euros de prix de revient par exemplaire pour l’éditeur, sans compter les frais de diffusion et surtout, les frais avancés par La Rédaction décrits dans le livre, notamment : paiement en espèces de modèles photos –, j’espère que ça vaudra le coup. J’ai promis à Anne-Laure de donner le deuxième exemplaire reçu à Claro (je fais bien attention de ne pas l’abîmer, de ne pas marquer le dos en ouvrant les pages, de ne pas laisser de traces de doigts sur le vernis brillant). On arrive à 40 euros l’article, ce qui est moins dispendieux.
Autre élément mystérieux, j’ai commencé à écrire sur Valérie à la campagne, pendant un long week end, entre une fête de famille (celle de mon ami) et un concours de pêche organisé par la commune pour le 14 juillet pendant lequel j’ai réussi à tirer de l’eau un petit Boer – je ne participais pas directement au concours, faute d’expérience et de matériel, je soulageais momentanément les bras du père de mon ami qui avait oublié le support destiné à maintenir la canne à pêche, lorsque le petit Boer a mordu à l’hameçon. J’avais l’impression d’être encore dans l’univers de Valérie, collée maladroitement dans le paysage, avec ma robe citadine et mes talons qui s’enfonçaient dans la boue alors que tout le monde était, plus adéquatement, en vieux jeans et vêtements kaki. À mon retour à Paris, le disque dur de mon ordinateur a grillé avant que j’ai eu le temps de faire la moindre sauvegarde et j’ai perdu toutes mes notes. Cet article coûtera donc le double du temps habituel, ce qui équivaut à l’exemplaire perdu. Cette coïncidence me rappelle une phrase du livre, après une description de dessins égyptiens : « … je me mets à rêver que notre langage soit structuré par une certaine géométrie prédictionnelle, que nos langues, dès le départ, soient faites pour désigner aux autres les événements à venir qui intéressent chacun d’eux en privé, comme l’oiseau raide sur le papyrus me montrerait avec une certitude immédiate l’oiseau inconnu. » Architecture et plasticité, une plasticité qui me fait penser à une littéralité (post Francis Ponge, post Jean-Marie Gleize, mutatis mutandis, of course) susceptible de créer une communauté intersubjective. Mais aussi malléabilité des signes et notion de ressemblance, qui est un des éléments clefs du livre : « Lorsque vous écrivez un livre, c’est, au fond, dans l’espoir qu’il fasse de vos lecteurs des individus qui vous ressemblent. »

Celui-ci se présente moins comme un journal de personnage médiatique (j’évoque Miette de Loana) que comme un livre théorique composé de huit chapitres dessinant une cosmogonie propre à définir une humanité : « changer d’opinion », « comment mes proches parlent de moi au futur », « les images dans lesquelles je suis bien », « quand je suis trahie par mes goûts », « les périodes de mon vécu », « ce qui est classe », « quand je fais du sexe, qu’est-ce que je fais au juste ? », « est-ce dans nos natures de finir par accepter ? », bref, la vie, l’amour, la mort, comme qui dirait, représentés sur mon petit théâtre personnel, avec proches et passants. Un étrange système de name dropping où défilent des inconnus – pour vous, lecteurs, mais des gens qui sont des points sur la chronologie de ma vie – qui donnent leur avis, des instantanés de moi.

Il faudrait un autre livre pour parler de ce livre. Car les affirmations qui y apparaissent y sont constamment contredites par les personnages qui y fourmillent. Car sous le maquillage jet set de Valérie se développe une pensée esthétique, morale, métaphysique complexe. Et que j’ai un cours de body sculpt à 16 heures. Mais ce qu’on pourrait déjà en dire, c’est qu’il détruit le « je » et recrée un « je ». Puisque le « je » du livre est à la fois le mien et celui d’un (Christophe Hanna dont je reconnais les traits à certains indices) ou de plusieurs agents de La Rédaction. C’est pourquoi je suis en mesure de dire que l’assertion : « Je suis un écrivain, je ne tends pas de traquenards » est fausse. Si on croit à une phrase comme « je vous dois la vérité en littérature et je vous la dirai » (de Denis Roche, qui y répond d’ailleurs, si mes souvenirs sont bons, « tu parles ! »), Valérie est un vaste traquenard dans la mesure où le « je » qui s’y exprime est un « je-mosaïque » composé, virussé. Il s’agit à la fois, dans la vie du personnage, de « changer d’apparence pour rester relativement anonyme en brouillant les souvenirs qu’on pourrait garder [de moi] », comme le dit l’une de mes amies, et dans celle du lecteur, d’annihiler la notion d’unicité du moi. De même que dans les chapitres « les images dans lesquelles je suis bien » ou « changer d’opinion » nous sommes face à une variation permanente d’images censées définir positivement la personne, une fluctuation de goûts et d’avis selon les fréquentations, mon « je » n’a pas de traits ou, plus exactement, ses traits changent sans cesse en morphing accéléré. On regarde à nouveau l’image de couverture, à la fois très explicite (buste de nu cachant ses seins) et de trois quarts dos, mon visage qui se retourne paraissant presque dessiné, tant on m’a maquillée, mon regard baissé étant caché. Une peau à projections.

À ce titre, une saynette est significative, comme le sont toutes les saynettes du livre : un théâtre concret qui révèle autre chose à travers un processus d’analyse quasi chimique – non métaphorique. « … rue des Abbesses. Il y a toujours un groupe de jeunes Noirs qui procèdent au même type de commerce touristique. L’un d’eux t’aborde et te passe un bout de fil autour de l’index pendant qu’il te demande d’où tu viens et ce que tu fais (en plusieurs langues, environ quatre). Si tu réponds, assez de temps s’écoule pour qu’il noue le fil et te réclame 2 euros en justifiant que ce nœud qu’il t’a fait en trois secondes est en réalité un porte-bonheur. (…) La situation est telle que tu trouves suffisamment de raisons pour payer. (…) On ne peut pas faire avec cela un calcul de pertes et profits. On a juste pu, mentalement et d’une manière quasi automatique, fabriquer des raisons. » Ici aussi, on est pris au fil, même si celui-ci ne permet pas de retrouver son chemin (j’aurais dû dire « ses chemins », et tous bifurquent) et nous emmène ailleurs.

Par exemple, du côté de la « théorie du beau comme trace de gestes moralement significatifs » : « Toute production résulte d’actions déterminées dans leur forme même par les routines de la vie pratique, la vie morale. Exemple du dessin ou d’une interprétation pianistique : l’image picturale ou sonore est immédiatement lisible comme trace d’une gestuelle liée à une discipline. Cependant, aucune discipline n’a jamais isolé les gestes qu’elle enseigne de ceux de la vie pratique, il y a toujours contagion ou déformation des gestes disciplinaires par des gestes habituels (le danseur et sa manière de marcher). Tout geste artistique peut être lu comme une sorte de sublimation d’actes pratiques, ou comme une forme neutralisante dans laquelle les formes gestuelles de la vie pratique se retrouveraient en tant que résidus toujours sensibles. Exemple du pianiste et pédagogue Alfred Cortot critiquant le jeu de Clara Haskil : “ Tu joues comme une ménagère ”. »

La Rédaction étudie les réflexes de la rédaction. Et décompose les genres. Je peux donc dire que vous apprendrez à la fois beaucoup sur moi, dans ce livre, et bien peu. Mais sans doute la surprise de voir vos habitudes de lecture déjouées fera que vous ne lirez plus vraiment comme « une ménagère » ou « une banquière » ou « un professeur » ou « un pompier »… Je ne sais pas si je dois remercier La Rédaction ou pas. Je suis partagée entre deux sentiments. D’une part, je ne me reconnais pas dans ce livre, malgré les nombreuses anecdotes réelles. Comme je l’ai dit, « on » y dit souvent « je » à ma place et ça contamine même rougelarsenrose. Mais d’autre part, j’accède à un statut inédit dont n’oseraient pas rêver les plus grandes héroïnes : objet-outil littéraire, corps polymorphe habité des vies de tous les personnages et de tous les lecteurs. C’est mégalo et, finalement, ça me ressemble bien.

Article à paraître dans La Revue Littéraire, sortie 16 septembre.

Valérie par Valérie, La Rédaction, Al Dante collection Réalités non couvertes, 292 pages, 20 euros.
Lire un entretien sur Valérie par Valérie : ici.

{Ajout du jeudi 4 septembre : magnifique article d'Éric Loret sur Valérie par Valérie dans Libération.}
{Ajout du vendredi 5 septembre : & Nathalie Quintane sur Sitaudis.}

vendredi, août 22, 2008

Lacrimosa

Lacrimosa est un livre en ré mineur1. Un livre de deuil dont le titre emprunte au requiem, comme un repentir : « J’ai fait ce que j’ai pu. J’ai écrit parce que je ne sais pas composer de musique. Un concerto aurait été moins impudique, plus élégant. Un requiem aurait été de circonstance, et les paroles seraient venues du fin fond du Moyen Âge, mystérieuses et anonymes. » (p. 215) Mais puisque les portées sont abstruses, puisque c’est à travers l’écriture que l’écrivain accorde les bassons et les cuivres, il reste la prosopopée, ressort ancien mais néanmoins efficace pour faire parler les absents et les morts.

La trame est simple : une jeune femme se suicide, laissant derrière elle un amant écrivain, un autre skipper et des parents. Sans compter un travail débilitant. L’écriture complique, bien entendu, cette trame. L’écrivain raconte l’année qui a précédé ce suicide, l’année pendant laquelle la jeune femme et lui ont vécu une histoire d’amour, à travers un roman épistolaire à deux voix : les lettres de l’écrivain adressées à sa « chère Charlotte », qu’il vouvoie (on y retrouve le fameux « vous » Jauffret) et les lettres de la défunte commençant toutes par « mon pauvre amour », généralement du registre de la protestation véhémente, signalant sans cesse l’imposture du procédé : « Tu crois que c’est facile ici de lire les lettres des hurluberlus qui écrivent aux filles qui ont balancé leur vie par-dessus les moulins comme un jeans parti en quenouille, histoire de se faire offrir une belle robe sur mesure en pin des landes ? (…) Tu ne veux pas mon email par la même occasion ? Un truc du genre, neantcharlotte@lamortsilecœurvousendit ? » (p. 28)
L’un reconstruit de façon souvent contradictoire – troublant l’illusion de vérité du récit – une histoire et un personnage, l’autre refuse violemment de se laisser enfermer dans ce statut de personnage, s’indignant sans cesse de la vanité de l’écriture. La tension entre les deux voix, entre les deux états (la vie, la mort) crée un espace dramatique qui place l’écrivain au purgatoire des accusés. Accusé d’impuissance et d’orgueil : « Toi et les tiens vous êtes des charognards. Vous vous nourrissez de cadavres et de souvenirs. Vous êtes des dieux ratés, les bibliothèques sont des charniers. Aucun personnage n’a jamais ressuscité. Dostoïevski, Joyce, Kafka, et toute cette clique t’a dévergondé, sont des malapris, des jean-foutre, des fripons, des coquins, des paltoquets ! Ils ont expulsé leur époque par les voies naturelles pour en barbouiller toutes ces feuilles de papier aux traînées noires et tristes comme des canaux où les mots flottent ventre à l’air comme des poissons d’eau douce bouillis par la canicule. » (p. 113) Le fossé se creuse ainsi entre la vie et la fiction, l’écrivain prenant les oripeaux du démiurge à la petite semaine qui n’a plus que ses yeux pour pleurer et son logiciel pour coucher des histoires dérisoires.

« And on this day
Full of tears
When from the ashes
There arise
Guilty man, to be judged
Lord
Have mercy upon him
Gentle lord Jesus
Grant them rest » 2

L’incipit est loufoque. De l’« écriture massacrante » qu’on lui connaît bien. Il décrit un suicide d’une Charlotte – alors que la suite du livre racontera un autre suicide d’une autre Charlotte – en autocaricature du style Jauffret : des parents hystériques surexcités de la cinquantaine, une sœur du nom de Jérémia au cerveau creux – et qui a nommé son enfant, déjà gravement dépressif, Pindo –, un médecin charlatan, zoophile et cleptomane, une tentative absurde de remonter le temps, le tout se passant dans la Marseille natale de Jauffret. C’est-à-dire, vainement solaire. Mais c’est un faux départ et une autre Charlotte se dessine qui, si on sait qu’elle ne fait pas davantage partie de la réalité (« Et de quel droit me donnes-tu un nom de gâteau ? Ce n’étais pas assez qu’à ma naissance mes parents m’aient bâtée d’un nom de bête de somme ? » p. 27), s’inscrit dans un univers plus vraisemblable. Les effets de réel sont nombreux : identification de l’écrivain (auteur d’Univers, univers), description de son appartement véritable (la situation, le canapé blanc qu’on reconnaît sur des vidéos de lecture), situation familiale, dates du Salon du Livre de Paris… De surcroît, on peut lire dans un entretien donné au Monde le 23 mars 2007 une réponse de Régis Jauffret : « Écrire, c’est peut-être aujourd’hui rendre hommage à tous ceux que la société, l’entreprise broie et a broyés. Je suis venu aujourd’hui pour rendre hommage à une amie qui s’est pendue hier et qui a été broyée par l’entreprise, la société dans laquelle nous vivons. » Il semblerait donc bien que Lacrimosa ressorte du genre autofiction, intriquant avec virtuosité fiction et réalité, ne cessant de porter le soupçon sur la véracité des situations et des souvenirs. Un texte intime et pudique qui prend le risque de la douleur. Un geste d’amour et d’irrévérence.

« We keep on burying our dead
We keep on planting their bones in the ground
But they won’t grow
The sun doesn’t help
The rain doesn’t help » 3

Un geste qui s’inscrit dans une tradition littéraire, comme on l’a suggéré, comme le révèle le livre lui-même : « Tu ne seras pas le premier, Hugo vendait sa fille. Adèle (sic) s’est noyée, Charlotte s’est pendue. Elle a fini dans un poème, je finis dans un roman. Elle est passée à la postérité, et moi plus modestement par ton entremise, je passerai peut-être à la télévision. Car il faudra bien que tu t’expliques, que tu fasses des aveux. Tu diras que je suis une fiction, une femme sortie tout habillée de ton imagination. On fera semblant de te croire… » (p. 214) Car à travers ce double mouvement permanent de résurrection et d’éreintement de l’entreprise par la voix même de celle que le livre doit fugacement ramener à la vie, malgré les charges d’ironie et d’autodénigrement du pouvoir de l’écriture, ce livre est croyant. À la mort de Charlotte, l’écrivain – du livre – demande de prier, par tous les moyens, à tous, partout, lui qui ne croit pas. Son livre, quelle que soit l’insignifiance de l’entreprise 4, fait vivre une Charlotte de papier donnée en pâture aux lecteurs qui en feront chacun leur Charlotte pour lui chuchoter un Lacrimosa5 aérien en berçant leurs propres morts. Cela fait partie, après tout, des fonctions de la littérature : catharsis, identification, sublimation. Et du noir de la salle Roland Topor du Théâtre du Rond-Point en décembre prochain, avec Régis Jauffret sur scène6 en Orphée volubile qui resterait au seuil, les spectateurs pourront constater que le théâtre est bien le lieu où l’on fait parler les morts.

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1-La référence à la musique est constante chez Régis Jauffret qui parle d’« oreille absolue » pour désigner la justesse d’une phrase et énonce dans un entretien : « l’écriture n’est pas très éloignée de la musique. Je suis comme un violoniste : je joue, on m'enregistre, on me repasse la bande, et je sais que je n'ai pas fait de fausses notes. »

2- « Lacrimosa » des Melvins, tirée de l’album Stag, Atlatic, 1996.

3- Extrait de « Lacrimosa » de Regina Spektor, tirée de l’album Mary Ann Meets The Gravediggers And Other Short Stories, Sire Records, 2006.

4- « Un écrivain doit accepter de sombrer dans le ridicule, autrement il ne serait même pas un humain. » (p. 216)

5- « Lacrimosa dies illa,
Qua resurget ex favilla
Judicandus homo reus
Huis ergo parce, Deus.»

6-Spectacle donné au Rond-Point des Champs Elysées du 5 au 30 décembre 2008 d’après Lacrimosa de Régis Jauffret, lu et interprété par l’auteur sous le regard d’Anne Bourgeois.




Lacrimosa de Régis Jauffret, Gallimard, 224 pages, 16,50 euros, à paraître le 25 août.
Texte à paraître dans La Revue Littéraire, aux Éditions Léo Scheer, chroniquant, entre autres, "la rentrée littéraire", en librairie le 15 septembre.

mardi, août 19, 2008

L'effet papillon



Mesdames et messieurs, ce n’est pas un livre, La Funghimiracolette, pas un mais au moins neuf, dont deux romans et de nombreuses utopies ! Mille opéras sous couverture jaune que vous avez la possibilité d’inventer, rien que pour vos synapses, grâce aux directives poétiques d’Olivier Mellano.
En fin d’ouvrage, neuf parcours thématiques permettent d’associer les courtes « pièces musicales imaginaires » : « Recettes par ordre de difficulté croissante » (commençant et finissant par « Cage »), « À portée (roman) », « Hors de portée (roman) », « Ce qui chante », « Ce qui échappe », « Les tortures du roi Khouloud », « Musipark », « Singes » et « Signes ». Une architecture qui fait penser à une partition d’orchestre symphonique – ce qu’il faut de concentration et de vision pour écrire à la verticale les partitions des cordes, des bois, des cuivres… en écho à la virtuosité de l’écriture.

Dès le premier mouvement, l’ambiance s’installe, onirique et intense. On papillonne d’une page à l’autre des « papillons sur neige » aux « chuteurs de harpe », prenant conscience, en crescendo, du bruissement des pages tournées. Si on suit les parcours thématiques, la main droite fait office de capodastre tandis que la main gauche trouve les nouvelles harmonies. Pas besoin de médiator, cela se joue au doigt et à l’œil. On découvre des machines de rêve : le « corpositeur » qui crée des sons à chaque mouvement du corps ; le « gelaudi », substance tirée du « corpositeur » qui permet de conférer la même sonorité aux objets inanimés ensuite adapté en « gelauditecture », la musique à portée de la Tour Eiffel ou de la Sagrada Familia. Un peu plus loin, des cordes tendues en plein air au début de l’été sont coupées à la rentrée des classes. Les chats de Venise ont disparu mais restent les chats de Denise. Une note passe d’individu en individu, en une chaîne infinie, à qui le tour ? On frémit en lisant l’histoire de cet homme qui invente, en 2046, une machine complexe, dévorant son espace vital, pour revivre fugacement une belle journée de juin 1979 à Messanges avant d’ouvrir le gaz. On a envie de partir en vacances sur l’île de la « Funghimiracolette » dont l’étrange faune semble s’échapper du livre pour envahir l’espace alentour. Peu à peu, on n’entend plus le vrombissement des voitures comme avant, ni le moteur du frigo, ni la sonnerie du téléphone. On repère bien le sol sol# ré de la SNCF. Le chat sur le lit, cousin des chats de Denise, rêve aux chats de Venise. On imagine enduire la toussante voisine de « gelaudi » à moins qu’on lui réserve l’une des « tortures du roi Khouloud »… Le mélange d’humour et de cruauté de ces élucubrations mélodiques n’est pas sans rappeler les tribulations de Plume de Henri Michaux. Sa déambulation aventureuse qui se heurte à l’étrange et rencontre souvent la violence. « Les tortures du roi Khouloud » et leurs situations ubuesques font également songer à La Pamukalie d’Eugène*, ce « pays surréel » plus vrai et fou que nature. Cette séquence sanglante et tintinabulante porte la même verve et la même invention. Ainsi qu’une portée politique qu’on retrouve, en cherchant bien les harmonies sympathiques, dans chaque mesure de La Funghimiracolette. Les suppliciés de Khouloud ne se plient pas à ses fantaisies : Fretton Carpeaux « a regardé ses pieds pendant le royal lâcher d’oiseaux plats », Oslave Pouilloux « n’a pas dodeliné de la tête lorsque les cloches ont sonné », Bitlibe Cardon « a bayé aux corneilles alors qu’il fallait saluer les drapeaux »… mais la dernière victime est Khouloud lui-même, qui « a fait de son peuple un troupeau mou ». Et cette utopie en cent huit textes dédiée, noir sur blanc, à la musique, est une ode à la recherche de la beauté et à la conscience de l’être au monde : « Qu’en est-il ici de la politique ? Deux théories. Les cartonistes pensent que la beauté est diffractée dans le monde et qu’on se doit d’en extraire les plus belles bribes pour recomposer l’Agencement Originel aussi nommé le Tôte. (…) Dans leurs manifestations, on peut lire : “ La beauté est partout, regardez BIEN ”, “ Utilisez tout, faites-vous utiliser ”, “ Recombinaison totale du Tôte ”, “ Tout existe, rangeons-le ”, “ Sensistes, fainéants ”… Ils ont l’air concentré et regardent en l’air mais sont assez peu productifs. Les sensistes disent que la beauté n’existe que dans le mouvement qui la cherche, c’est le Sprüng. (…) Dans leurs meetings, on scande : “ Le beau nous dépasse, dépassons-nous ”, “ Sprüng = vie, Tôte = mort ”, “ Cartonistes ! Bricoleurs ! ”… Ils ont l’air inspiré et regardent en l’air mais sont assez peu productifs. D’autres ne se mêlent pas de ça et suivent leur route. Chaque camp essaie de les récupérer. » En fin de volume, en écho au deuxième texte, « Les papillons sur neige », on apprend qu’il faut toujours se méfier des « effets papillon ». Les conséquences de La Funghimiracolette risquent d’être bien plus stridentes que la douceur de sa prose ne le laisserait présager.

La Funghimiracolette, Olivier Mellano (suivi de « Un théâtre des machines », postface d’Emmanuel Tugny), MF Éditions, 160 pages, 12 euros.

* La Pamukalie d'Eugène, Éditions Autrement, 2003.

dimanche, août 17, 2008

If Hitler had been a hippie, how happy would we be

Sur les conseils de Basile Ferriot qui a vu l’exposition des frères Chapman : If Hitler had been a hippie, how happy would we be à Londres en juillet dernier, je me penche sur l’œuvre de Jack et Dinos Chapman, par Internet interposé, hélas, pour l’instant. Je ne gloserai donc pas sur des choses que je n’ai pas vu en 3 D, je vous en montre juste des images, des fois que ça vous amène, comme moi, à guetter leur prochaine expo parisienne…
Un article sur l’expo de Londres ici.
Une présentation générale et d’autres images ici.


California Uber-Alles, 2003




Les deux dernières images sont des vues de Hell, pièce qui avait brûlé dans un entrepôt il y a quelques années et que les frères Chapmann on repensé et exposé à Londres.

vendredi, août 15, 2008

« Tout cela. Oui, c’était malheureusement la vérité. »

Quand il était jeune, Arno Schmidt vénérait Alexandre le Grand et sa haute stature de conquérant. Le propagateur armé de la culture hellénique à l’Orient barbare. Revenu de la seconde guerre mondiale, après avoir été combattant et prisonnier, il ne l’admirera plus du tout. En 1949, Alexandre ou qu’est-ce la vérité (qui fait partie de ses récits « antiques » *) exprime violemment ce rejet, à travers le journal d’un admirateur d’Alexandre, peu à peu désabusé.

Lampon de Samos est un jeune élève d’Aristote, timide et naïf, adulant Alexandre le Grand. Il doit rejoindre son oncle qui est un officier de sa garde rapprochée, et pour cela, descendre le fleuve Euphrate, long voyage qu’il accomplit en compagnie d’une troupe de comédiens rencontrée par hasard. À son grand étonnement, tous ne semblent pas partager son aveugle vénération, même pas l’affolante Monika, danseuse et chanteuse au pied léger qui anime le récit d’une grâce gourgandine.

Parallèlement à cette initiation progressive à la lucidité, on retrouve, comme toujours chez Arno Schmidt une peinture saisissante des paysages et des ambiances qui annihile la distance temporelle et physique avec ce 323 avant JC à Babylone, des tableaux qui s’impriment en détails chromatiques, odorants et petite phrases lancées à la vue qui défile. Hop, on est sur le bateau, on sent le roulis et tout éclate à l’imagination dans une évidence aux couleurs inconnues.

Et justement, si tout est là (artillerie de vocabulaire hellénistique, fragments d’Histoire réelle, allusions à Aristote…) pour nous entraîner dans cette Antiquité suréelle, c’est bien de coïncidence des temps qu’il s’agit, Arno Schmidt osant une explicite superposition – faisant fi des anachronismes, comme toujours – entre Alexandre le Grand et Adolf Hitler à travers de nombreux détails, comme ce « jour de la Phalange » qui fait référence au « jour de la Weirmarch » (p. 9) ; ou encore « La Source vitale » : « Un ordre du jour d’Alexandre en personne (que nous écoutâmes attentivement) : installation de “ La Source vitale ” qui prendra en charge les enfants nés de “ l’union de ses soldats ” avec des femmes asiatiques. Liquidation discrète garantie. » (p. 16) qui rappelle une fondation SS, « La Source de vie » (« Lebensborn ») destinée à recueillir de tels enfants nés hors mariage – pour peu qu’ils ne présentent pas de tares héréditaires…

Cette ombre du IIIe Reich contamine même l’imaginaire du héros : « Midi passé : un rêve idiot : j’étais un aigle qui volait autour de ma tête. Avec par intervalles des choses ineptes : me laissais nourrir de petits pains et abondamment admirer par de jeunes ouvrières. » (p. 36)

La condamnation du tyran Alexandre, ex héros, vainqueur déchu, peut s'appliquer mot pour mot à Hitler : « À propos d’Alexandre, je songeais aussi à ceci : celui qui est chargé de porter une coupe de feu à travers la vie prend le risque de la voir projeter des étincelles (déborder, écumer). Mais cela serait plutôt une image pour le poète, pensai-je aussi ; pas du tyran : celui-ci court comme un flambeau et incendie villages et cités. » (p. 28, 29) Même si l’interrogation de Lampon de Samos porte plus lucidement encore sur la responsabilité du peuple, dont il fait partie : « Encore un exemple de l’incapacité du peuple à rendre compte de manière fiable d’un fait, en eût-il été le témoin oculaire. » (p. 14) « … mais une isophrène (une ligne de bêtise égale : amusant !) relie tous les humains sans exception. Et tous les peuples. ” (…) Mais si Alexandre est un salaud, que dire de nous autres ?! (…) C’est-à-dire : peu à peu j’en arrive à tout envisager. » (p. 31) « “ Le peuple ne se rend-il pas compte de la tyrannie ?! ” demandai-je. “ Non, non ” répondit-il, “ 95 pour cent sont vraiment pour lui ; aveuglés par le cirque, saoulés par l’idée d’une hégémonie mondiale ; chacun aspire en permanence à avoir une des innombrables décorations, à accéder à un échelon supérieur. » (p. 56) On imagine la portée de telles paroles sous la plume d’un ancien soldat de l’armée allemande, écrivant après la défaite, après l’illusion, après la vérité. « Tout cela. Oui, c’était malheureusement la vérité. » (p. 30) La violence de la culpabilité d’avoir fait partie de cette séquence d’histoire inconcevable. « J’ai appris nombre de choses, mais j’ai trop peu réfléchi. » (p. 44)

La prospective de Lampon et de ses compagnons va plus loin encore : « “ Oui, oui : dans mille ans on en sera au point où il y aura sur l’agora de chaque cité un appareil muni d’une poignée et de cette inscription : Tire la poignée et tu pulvériseras le globe ! ” » (p. 19) Et l’étrangeté des derniers jours de l’empire macédonien de ressembler étrangement à la folie des guerres contemporaines. Ces quelque 96 pages ne décrivent pas un navire en 323 avant JC transportant des personnages au quotidien révolu, elles sont une machine à penser, un navire intemporel peuplé de tyrans, d’écrivains et de lecteurs, une arche qui aurait accepté l’humanité tout entière, transmettant la conscience de ce qui a été et de ce qui pourrait être encore si on se laisse aveugler, abuser d’orgueil et de gloire : « Notre manière de nous déplacer a valeur de symbole : le monde a commencé de basculer. » (p. 31)

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* Qui comptent, outre Alexandre ou qu’est-ce que la vérité : Enthymésis ou C.J.V.H. (= combien je vous hais) en 1946, Gadir ou connais-toi toi-même en 1948, Cosmas ou la Montagne du Nord en 1955.


Alexandre ou qu’est-ce que la vérité, Arno Schmidt, Tristram, 96 pages.
Note à paraître dans La Revue Littéraire, aux Éditions Léo Scheer, le 15 septembre.

mardi, août 12, 2008

Questions théoriques : Forbidden Beach/Réalités non couvertes

Questions théoriques a mis en ligne son blog le mois dernier. Vous y trouvez les présentations des livres parus, les annonces des livres à venir, les coupures de presse, les actualités...

Questions théoriques a déjà publié deux excellents essais dans la collection « Forbidden Beach » : Dispositifs/dislocations d’Olivier Quintyn (une poétique du collage à travers différentes manifestations historiques et génériques) et Des documents poétiques de Franck Leibovici (qui « propose une poétique pragmatiste tentant de décrire comment des technologies qui participent à la fabrication de notre réalité peuvent produire des formes de vie secourables. »).

Le 4 septembre, dans la collection « Réalités non couvertes », paraîtra Valérie par Valérie de La Rédaction dont on vous reparle très prochainement ici.

À venir, la collection philosophie « Saggio Cassino », premier livre à paraître : L’objet de la critique littéraire de Richard Shusterman (traduction Nicolas Vieillescazes).

Un espace éditorial exigeant et intrépide comme on n’en fait pas assez et que je vous conseille de suivre de près…


Questions théoriques : Forbidden Beach : Réalités non couvertes /al dante/Hypérion diffusion/distribution Sodis

lundi, août 11, 2008

Le baiser de la matrice



Avec Le Baiser de la Matrice, Véronique Aubouy propose à plus de 3000 personnes du monde entier de lire devant leur web-caméra une page de À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust. Au terme de cette expérience, tous les mots de La Recherche auront été lus en français, par des personnes de tous horizons, en un film de 170 heures environ. Le web-tournage se déroulera en direct sur Internet à partir du 27 Septembre 2008 midi GMT.

Si cela vous intéresse, rendez-vous sur le blog du Baiser de la matrice.