mercredi, février 08, 2006

Nancy tout risque (special dedicace to O. Q.)



« … Des observateurs du ménage Reagan ont souvent épilogué sur « the gaze », le regard attentif et plein de ravissement dont Nancy couvait le Président chaque fois qu’il parlait en public, mais Nancy utilisait depuis longtemps des masques de nature variée pour se protéger de tout ce qu’elle préférait oublier. Des pans considérables de son passé avaient été lyophilisés et dissimulés dans un tiroir obscur de son esprit, d’où ils étaient censés ne jamais ressortir. Fille d’une actrice de répertoire ambitieuse et d’un vendeur de voitures raté – dont Nancy prétendait qu’il était diplômé de Princeton – elle fut élevée dans sa petite enfance par ses oncles et tantes lorsque ses parents eurent divorcé. Cette période de séparation forcée semble l’avoir rendue à jamais insensible. Plus tard, Nancy ne prit jamais contact avec son père biologique, reportant toute son affection sur le Dr Loyal Davis, un taciturne neurochirurgien de Chicago que sa mère avait épousé lorsque sa carrière avait décliné.
Avec le recul, d’aucuns ont estimé que c’est cet homme d’extrême droite, animé d’un racisme haineux – il ne pouvait jamais se résoudre ne serait-ce qu’à prononcer le mot « juif » –, qui a formé la vision politique du monde de Ronald Reagan et a transformé le Démocrate qu’il était en un Républicain pur et dur. (…) L’actrice en herbe Nancy Davis (…) partit pour Hollywood où l’attendait un bout d’essai chez MGM arrangé par les bons soins de Spencer Tracy. Plutôt vieux jeu – comme elle le serait toujours –, elle choisit une voie traditionnelle pour lancer sa carrière, optant pour la promotion canapé lorsqu’elle entama une liaison prolongée avec Benny Thau, responsable du casting chez MGM. Suivirent un certain nombre de films sans éclat, dans lesquels elle jouait plutôt les énergiques ménagères en robe de grossesse tandis que, loin des plateaux, elle s’octroyait des liaisons avec une succession de premiers rôles masculins de Hollywood, dont Robert Walker eet Peter Lawford, qui appréciaient particulièrement ses talents pour la fellation.
Mais le destin frappa finalement à sa porte sous les traits d’un autre acteur de série B en déclin affligé d’une enfance malheureuse, le président de la Screen Actors Guild, Ronald Reagan. Bientôt, les Reagan laissèrent Hollywood derrière eux et commencèrent à viser le gouvernorat de l’État de Californie, et, au-delà, les premiers rôles dans le film suprême, la présidence des Etats-Unis, où il serait la vedette et elle la réalisatrice, les second rôles étant tenus par des monarques européens, des hommes d’État russes et des milliardaires californiens. »

J. G. Ballard, Millénaire mode d’emploi, « Biographie à la tronçonneuse », à propos de Nancy Reagan : biographie non autorisée par Kitty Kelley (1991).
Millénaire mode d’emploi est un recueil d’articles sur le cinéma, l’art, la littérature, la vie des personnages publics, les médias de masse, l’avenir de la société de consommation… publiés par les éditions Tristram.

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