jeudi, mars 16, 2006

Gabbitas & Thring

« L’héroïne est absente.
Absente de Paris. Héroïne par défaut. En fuite. Disparue. Morte. (Peut-être). En tout cas non présente.
Le nom seul est resté.
Sur la tombe.
Gravé sur le marbre de la tombe.
Le nom seul subsiste.
Qui était cette personne ?
Que est cette personne ? Qui est cette femme ?
Mais qui était donc cette dame-là ?
Rose.
Voici un nom.
Rose.
Rose de Garance. Par exemple.
Ce n’est qu’un exemple. Puisqu’il faut un nom. Le nom tremblant. Le nom malhabile. Dans la pierre creuse. Le nom a demi effacé.
Par l’usure du temps.
Avec le temps. (Tout s’arrange ou tout s’évanouit.)
Née le. En fuite le. Partie pour. Le.
Date du départ. Date de l’arrivée. De quelle durée longue était le séjour ? (Combien longue ?)
Le nom est mystérieux. Comme la pierre muette et glacée.
Le nom est sommaire. Pour ainsi dire. D’une brève indication. Très insuffisant.
Et
Je n’en sais pas plus que vous.
Récitant sommaire d’une ténébreuse histoire.
Je ne sais pas grand-chose. Le sommaire des événements relatés sera bref.
Je ne sais rien ou si peu.
Sur le nom. Sur la tombe. Sur l’héroïne.
Ainsi nous irons au plus rapide. Conversation tôt éteinte. Faut d’arguments.
L’argument est pauvre.
Nous nous contenterons de peu.
Nous nous contenterons de la pauvreté. De l’exiguïté. Du vite vu.
Du vite achevé.
Ma plume sommaire non usée y pourvoira.
Mais si ce peu soulève des mondes en fusion.
Des mondes obscurs douloureux. Des mondes infinis en souffrance.
Alors peut-être est-ce mieux de ne pas prolonger la promenade. Au long des pages. Des esprits en déroute. Des hommes à la dérive.
Dans ce cas bien entendu le peu suffit. Il suffit de peu.
Le mot fin libérateur le terme du cauchemar se fait attendre.
Plus tôt il se présente. Mieux ce sera.
Voici ce que je sais.
Comment j’ai eu connaissance. Du cas. De l’histoire. Du roman. Par hasard sans doute.
Un concours de circonstances.
Un hasard de la vie.
Il y a de ces hasards…
(Mais mieux vaut ne pas en parler.)
Je ne sais pas tout.
À l’interlocuteur de questionner. De compléter. De supposer. D’imaginer. D’épiloguer.
Et de conclure.
La conversation est permise. Une certaine conversation de haut vol est permise.
Pas maintenant. Tout à l’heure. Après l’exposition méthodique et concise des faits. Il y aura entretien. Parole. Palabre. S’il le faut contradiction.
Réunion contradictoire pour finir.
Pour allonger. Si le récit se fait vraiment trop maigre. Trop clair.
Enfin… On verra…
Pas maintenant. Tout à l’heure.
Et qui sait ?
Au hasard des mots chancelants d’une chancelante conversation nous apprendrons ce que nous ne savons pas.
Ce que nous savons mal.
Ce que nous aimerions tant savoir.
Pour tenter d’élucider le mystère, la contradiction l’interrogation la discussion en fin de compte autorisées.
Vous êtes une personne.
Votre regard. Vos yeux. Votre bouche. Votre visage aux mille expressions.
Dessinent votre personne.
Donc je vous écouterai.
Je vous recevrai. De personne à personne. De personnage à personnage.
Sans distinction de classe. (Si je ne m’abuse.)
À égalité. En toute fraternité.
Vive la liberté. Les droits de la personne.
Premièrement celui de la Parole.
Celui de la conversation possible.
Par le grand mystère du langage… »

Garance rose, Hélène Bessette

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