Caution
« Mon cher ami Li, tes craintes sont infondées. D’où tu tiens cette impression que je voudrais brusquement cesser d’écrire ? Je crois pas avoir jamais déclaré une chose pareille. Nos discussions animées et trop sérieuses sont loin d’avoir produit les effets que tu sembles redouter. Il y avait bien un second degré derrière chacun de mes propos, en tout cas aucun dépit ou renoncement. Pardonne ces hésitations de convenance, pardonne si tu les as prises pour argent comptant, car je persiste et signe.
Commençons par le début. Mon statut d’écrivain est si enviable que le brader ou l’abandonner à la mécanique du souvenir serait pure folie. J’ignore si c’est le même topo à Wou Han (1), mais ici on s’affiche comme tel pour échapper aux stratifications sociales. C’est un des rares degrés élevés de l’oisiveté qui soit toléré par le mercantilisme tant il se souvient des lettrés comme ayant copieusement œuvré à son actuelle apogée. Asocial mais influent, riche ou pauvre peu importe, insondable puisque insolvable, à ménager comme un déficient, bref : planqué, l’écrivain passe pour un bouffon ergonomique quand on sait encore trop peu de choses sur lui. On le prend d’emblée pour un possible compagnon probablement parce qu’il est inoffensif, la souveraineté lui ayant filé entre les doigts depuis longtemps déjà. Les questions relatives à son métier sont rares et de toute manière il y répond comme il veut, avec du vrai ou du faux, en parfait impunité. En résumé, dire qu’on est écrivain c’est clore le débat sur le plan historique comme sur le zinc. Comment tu peux imaginer qu’un branleur comme moi lâche une telle affaire ?
N’imagine pas que j’emploie ce qualificatif dépréciateur pour en espérer des nuances de ta part. Se dire branleur c’est s’autoproclamer hors la mécanique sournoise de la compétitivité. Voilà qui doit te paraître bien exotique. Comprends cette paresseuse coquetterie, elle sait se défendre toute seule. J’ai peu travaillé et je travaille rarement, question de tempérament, c’est un peu tricher de le dire, mais c’est absolument pas une pose.
Quelqu’un a dit que la littérature abritant deux catégories d’écrivains : ceux qui sont habités par la littérature et ceux qui habitent la littérature. J’appartiens évidemment à cette deuxième catégorie… »
Daniel Foucard in Inculte#8
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