lundi, novembre 05, 2007

« Des dessous-de-langue comme il y a des dessous-de-table ! »



En cet automne, Claude Royet-Journoud publie deux livres complémentaires. La Théorie des prépositions, chez POL, et La Poésie entière est préposition, chez Éric Pesty éditeur – qui réalise un travail éditorial remarquable, cf. son catalogue. Deux livres remarquables compilant des notes publiées par Jean Daive dans la revue Fin – puisque je rappelle que CRJ a publié sa tétralogie poétique chez Gallimard.

Voici quelques extraits de La Poésie entière est préposition :

« L’immobilité de celui qui écrit met le monde en mouvement.

(…)

J’écris d’abord de la prose sans aucun intérêt littéraire. Le poème ne vient pas de la prose, mais il n’arrive pas non plus à son terme sans elle. Elle n’est qu’un “nettoyage”, une possibilité de voir.

La prose, c’est l’enfance. Elle sert d’éveil. Elle sert à sortir de l’aveuglement. Mais tout ça n’explique rien. On ne peut voir le rapport de la prose initiale au poème publié. Aucun manuscrit ne montre un état réel du texte en train de se faire.

C’est aussi un travail de suppression. Ce qui ne veut pas dire qu’il y aurait sous le texte un autre texte qui viendrait à manquer. La suppression permet seulement la théâtralisation de certains mots, de certains projets qui se concrétisent mieux ainsi.

Je donne à lire quelque chose qui est à peine visible : c’est là que s’exerce la menace, que quelque chose de violent peut naître. Bataille dit que le philosophe est quelqu’un qui a peur. Il y a des livres endimanchés. Écrire, c’est être capable de montrer l’anatomie. Il faut aller jusqu’au bout du littéral. J’affectionne Aristote et Wittgenstein. J’ai souvent pensé que c’était parce que je n’y comprenais rien. Aujourd’hui, je pense que c’est parce que c’est simple, minutieux, tatillon. La minutie me fascine. Si l’on pousse le littéral à l’extrême, comme l’a fait Wittgenstein, on tombe dans la terreur.

Ce qui fait problème, c’est la littéralité (et non la métaphore). C’est mesurer la langue dans ses unités “minimales” de sens. Pour moi, le vers d’Éluard, La terre est bleue comme une orange est épuisable, c’est-à-dire s’annule par son surcroît de sens, tandis que, par exemple, Le mur du fond est un mur de chaux de Marcelin Pleynet reste et restera, je crois, pour son exactitude même et dans son contexte bien sûr, paradoxalement, infixable quant au sens, donc porteur d’une fiction constante pour chacun.

Faire surgir la partie du corps qui écrit (la rendre visible, lisible) : bras, poignet, main, doigt, bouche… L’inscrire dans la fable, en faire un personnage de l’intrigue. Comme si tout se tenait là : dans la main qui se sépare du corps par l’écrit. Et le froid.

(…)

On se vit comme un corps plat, sans volume. C’est à partir de l’instant où le cœur, l’émotion entrent en jeu qu’on retrouve l’épaisseur. L’épaisseur, c’est parfois écrire un livre, c’est aussi quand on ne sait pas si on le fera.

(…)

On se demande toujours pourquoi un poème se finit. Il existe quand on le reconnaît, comme on “reconnaît” un corps à la morgue. C’est une chose à la fois affreuse et étrange. C’est quand cela se détache. Tu reconnais quelque chose qui est absent, qui est soustrait au moment même où le poème est suffisamment anonyme pour que tu le signes. »

1 commentaire:

Pierre Chanvre a dit…

lire Royet Journoud, c'est nécessaire, respirer en dedans