mardi, février 17, 2009

Fora è dentru

… Je faisais un clin d’œil au nom de cette revue dans un précédent billet : la revue Fora ! la Corse vers le monde, 2 numéros par an.

Une bien belle initiative, lisez plutôt :

« La revue Fora ! est une revue transculturelle.

À chaque numéro, elle met en face de la culture corse une autre culture du monde, avec laquelle elle partage des traits communs : qu’il s’agisse de l’insularité, de la latinité, de l’appartenance à la Méditerranée ou du pastoralisme, c’est le même universalisme anthropologique qui est en jeu.

Sans abdiquer leur affection, beaucoup de Corses vivent ailleurs que sur l’île, tandis que sur place une nouvelle corsitude s’élabore autour de nouveaux citoyens dotés d’une culture différente. La complexité de cette identité et la certitude que la découverte de l’autre enrichit toujours sont les piliers de notre réflexion. »

Voilà la belle ambition de Fora ! qui se décline déjà autour de trois pays : « la Corse au miroir du Japon », « Corse et Maghreb, côte à côte », « Corse et Mexique : à latins, latins et demi », « Corses et Juifs : peuples et diasporas ? » L’été prochain est prévu un numéro : Corse/États-Unis.

Je précise que, outre le plaisir de lire de bons textes de toutes disciplines (philosophie, sociologie, histoire, ethnographie, littérature, art…), le projet Fora ! me semble d’utilité publique, aussi bien pour insulaires que diasporiques, étrangers et continentaux…

Son nom a tout de suite fait tilt en moi. Je trouvais très intelligent et osé de reprendre ce que ma génération, du temps de son enfance et de son adolescence, avait vu tagué sur les murs, souvent avec effroi : « I Francesi Fora ! », par exemple. Ce qu’on trouvait d’autant plus ridicule… ben, qu’on était, de fait, français... et puis que souvent on était des « demi-corses », ou corse mais pas « corse », ou qu’on avait un super pote qui s’appelait Mohamed Bensalah mais qui parlait mieux corse que nous…

Et puis, je tombe sur cet édito de la revue, qui résume tout et trace bien le chemin parcouru et la voie qui se dessine :

« Encré sur les murets, ce cri muet a souvent invité à chasser. C’est dehors, fora !, qu’il fallait les jeter, la drogue, l’Arabe, les Français – c’était selon, l’afflux, les cargaisons…
Tout cela aliénait, nous mettait hors de nous, fâchait, il fallait donc s’en dépêtrer, pour mieux se retrouver. L’entre-soi l’exigeait, même bêtement, dans le feu, la larme, le sang. Mais trois fois ohi- mé (hélas), c’était bien s’égarer... Dans cet exclusivisme, la Corse a trop donné.

Au nom du même espoir sincère, nous sommes sûrs au contraire que c’est ailleurs que la culture corse doit regarder, pour mieux voir qui elle est, comparer, admirer, échanger, partager, au besoin même un peu copier ou disons s’inspirer !

C’est donc nous-mêmes qu’aujourd’hui nous voulons envoyer promener. Dehors, ouste, le Corse, du balai ! Va voir ailleurs si tu y es ! Allons toucher, sentir, voir, goûter… et piger… car gare, qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas de tourisme dont il s agira là. L’enjeu n’est pas de seulement balader, mais de cerner au mieux notre propre identité.

D’aucuns objecteront qu’il y a beau temps que les Corses arpentent le monde, et apprennent à le rencontrer ; mais jusqu’alors ils y étaient souvent forcés, contraints par la nécessité - exode rural : on embarquait, Marseille, Toulon, Paris, évidemment les colonies, pour travailler, longtemps, presque une vie. Aujourd’hui, c’est heureux, la barbara fortuna a cessé d’attrister, et le départ n’est plus l’exil. On peut travailler en Corse, qu’on y soit né ou plus tard arrivé - et un premier rapport à l’autre déjà s’établit dans cette communauté. L’ailleurs ainsi peut mieux s’élire, au gré d’affinités.

Notre terre a des doubles qu’on ne doit plus négliger. Nos âmes elles-mêmes souvent sont troubles et métissées. Il y a chez les autres quelque chose de chez nous, le même sens de la vie que l’île a engendré, le même berger, le même pain.
Il y a aussi en notre sein une part d’autre, qu’aucun mépris ne doit blesser ; les corsitudes hybrides sont de toute beauté. Apprenons donc à faire valser leur grande complexité : Corse-Français, Corse-Sarde, Corse-Algérien ou Japonais, dis-nous mieux qui tu es !

La revue Fora ! désire servir cette Corse polyphonique qui sache partout s’identifier et mieux répandre son écho. C’est là, nous le croyons, l’enjeu de notre génération.
Le Riacquistu nous a permis hier de constituer un patrimoine et d’éveiller notre conscience identitaire ; aujourd’hui certes ce combat ne cesse pas, pour apaisé qu’il soit mais une nouvelle tâche incombe désormais : rendre dynamique cette culture et l’inscrire dans le jeu d’une mondialisation choisie, culturelle plus que touristique.
Au nom de libertà, nos aînés exigeaient le droit de lutter pour notre culture, nous, héritiers de cet élan, nous nous proposons d’explorer les possibles de notre identité, ici, ailleurs, fora ! »

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