lundi, février 09, 2009

Macédoine au marqueur

C’est un peu comme le souvenir de dessins animés d’enfance (plusieurs, mélangés anarchiquement) en plein rêve éthylique érotique ou sous acide. Pipi, caca, sperme, cyprine, sang et chocolat. Drawn Together réunit huit archétypes de héros dessinés sous le prétexte d’une émission de téléréalité de type Loft Story – vous vous souvenez ? Loana et Jean-Édouard dans la piscine ! – même pas si caricaturale que ça, finalement. Et c’est là où ça fait mal à la réalité dans laquelle nous nous mouvons et survivons. Plus le trait est forcé, plus il semble vrai. La vulgarité des dialogues, l’obsession sexuelle permanente, la perversion, la cruauté, la manipulation, la jalousie, la domination, tous ces éléments pourtant outrés de toute la force de couleurs RVB et d’effets Flash ne sont jamais aussi aigus, blessants ou révoltants que dans n’importe quelle autre émission de téléréalité mettant en scène de vraies personnes de chair et de sang. Drawn Together agit comme un révélateur critique du monde, du spectacle et du rapport à la représentation. Et un révélateur critique irrésistible, en plus.
Mais passons au casting avant d’évoquer la série plus en détail :

Captain Hero est une espèce de Superman stupide, obsédé par le sexe, à l’appétit d’ailleurs assez voile, vapeur, réacteur, rail… Il est à la fois terriblement viril et aussi nerveusement instable qu’une jeune fille pubère qui connaîtrait chagrin d’amour sur chagrin d’amour. Princesse Clara est un parangon de princesse Disney. Les animaux de la forêt arrivent quand elle chante (ils se font d’ailleurs massacrer dans l’un des épisodes) et elle ne quitte jamais sa robe pastel. C’est la première fois qu’elle sort de son château et affronte le monde extérieur. C’est pourquoi elle pense que tous les Noirs sont des serviteurs et qu’il faut suivre les préceptes du Christ à la lettre. Bref, elle est xénophobe, homophobe, masturbophobe, mais elle se dévergonde tout de même un peu. À sa décharge, elle porte le poids d’une malédiction infligée par sa marâtre qui a posté une pieuvre géante à l’entrée de son vagin. Ling Ling est clairement inspiré de Pikachu, en version psychopathe. Il sait également fabriquer des chaussures de sport en dix secondes – la série jouant beaucoup des clichés racistes. D’ailleurs, il parle un japonais plus qu’approximatif dans lequel des termes comme « Yoko Ono » servent de verbes… Foxxy Love est l’héroïne black des séries Hanna-Barbera des années 70, totalement funky, totalement sexie. À la fois musicienne et détective, son personnage s’inspire de Valerie Brown de Josie & the Pussycats, première héroïne noire à être apparue régulièrement dans un cartoon. Elle a connu un succès d’estime avec son groupe The Foxxy 5 dans les années 80 et tente de relancer sa carrière solo grâce à l’émission. Spanky Ham est la mascotte d’un site porno créée en Flash. Il est à l’image de ce dont il fait la promotion, du sexe à l’uro scato. Il est méchant et manipulateur mais bien sûr finalement très attachant – car tellement humain. Toot Braunstein apparaît en noir et blanc car c’est une Betty Boop des années 1920. Mais ça remonte, les années 1920. Depuis, elle est donc totalement has-been. Elle pensait faire partie des sex symbols de l’émission mais n’entre pas dans les canons actuels : trop grosse ! trop typée ! Elle devient donc « The Bitch » (que nous traduiront euphémistiquement par « la garce ») et tente de semer la zizanie entre ses colocataires. Complètement bipolaire, elle entre dans des rages folles, hurle et pleure dès que l’on ne lui prête pas attention. Elle trouve son réconfort dans la boulimie, ce qui la rend, évidemment, encore plus malheureuse. Xandir est une caricature des héros de jeux vidéo du style Link, le héros de Legend of Zelda. Au début de la série, il lasse tout le monde en ne cessant de répéter que sa mission est de sauver sa petite amie des méchants… mais il fait rapidement son coming out. Sa sensibilité à fleur de peau en fait le parfait confident et l’incarnation de tous les clichés homo. Wooldoor Sockbat semble être un mélange entre Bob l’Éponge et Stimpy des Looney Tunes. Naïf et loufoque, on lui attribue pourtant les fonctions fort responsables de médecin, psychiatre, professeur, prêtre ou pilote.

Si vous ne l’avez jamais ne serait-ce qu’entraperçu, je conçois que ce mélange soit difficile à imaginer. Mais Dave Jeser et Matthew Silverstein, les créateurs de la série, ne s’encombrent d’aucune notion de vraisemblance (chacun des héros mourant successivement pour revenir l’épisode suivant sans explication), il vous suffit donc de penser à un monde anarchique où Bob l’Éponge peut côtoyer Betty Boop. Et comme je l’évoquais plus haut, métaphoriquement, ce n’est pas bien différent de ce qui est offert à nos regards et à nos sensibilités tous les jours…

Drawn Together passe Loft Story (Big Brother, aux États-Unis) aux rayons X mais aussi – plus brièvement – The Bachelor (au moment où l’on cherche un Prince Charmant – qui d’ailleurs, trouvé, se suicidera aussitôt – pour la pieuvre vaginale de la Princesse) et Survivor (les colocataires tentant de fuir leur prison à caméras en hélicoptère s’étant écrasés sur une île paradisiaque…) Dans chacune de ces arènes télévisuelles est mise en scène l’utilisation quasi sacrificielle de l’être humain, annihilant la souveraineté de son identité au profit de l’amusement (ou plutôt : « entertainment », cela devient une notion à part entière) des masses. Chaque individu est un pion manipulé par les producteurs pour leur rapporter de l’argent. En dehors de ce circuit et dans leur logique, ce pion ne vaut rien. Les personnages de Drawn Together l’expérimenteront quand, ayant quitté à la fois leur Loft et Survivor, ils se feront claquer porte sur porte au nez à Hollywood. Usant d’un procédé oxymorique certes ancien mais efficace, Drawn Together – mettant en scène des personnages enchantés et merveilleux dans un décor de fiction télé censé mimer la réalité – est une série de la lucidité et du désenchantement. De nombreux thèmes politiques et sociaux y sont abordés. Et comme dans South Park, leur traitement vulgaire, scatologique et outrancier est une bonne arme de dénonciation. On a déjà évoqué le racisme et l’homosexualité. La série parle également de l’exploitation des masses, du travail des enfants, du handicap mental, des maladies alimentaires, des troubles psychiatriques, du rapport parents/enfants, de la guerre et même, métaphoriquement, de la Shoah (Wooldoor Sockbat et toute son espèce se retrouve en pyjama rayé, mené à la mort par les Sweetcakes) et donc, de la nécessité de ne pas oublier l’Histoire. Techniquement, l’animation joue souvent des codes du genre à travers, par exemple, l’utilisation extensive de pauses inhabituellement longues dans l’action, le spectateur se retrouvant face à une image fixe pendant d’interminables secondes. La répétition, tel un hoquet emballé, agit également en instrument comique et critique. Drawn Together ose tout et, osant tout, fait œuvre de salut public. En cela, paradoxalement, c’est une série qui porte beaucoup d’espoir. Mais cela n’aura duré que trois saisons.

Article à paraître dans Écrivains en séries à paraître mi mars - ben voui, je sais, avec du retard, mais c'est pas moi qu'il faut blâmer, c'est Algie !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ben du coup j'ai passé deux heures à regarder la première saison. Je n'en avais jamais entendu parler. C'est en effet assez drôle. Mais la princesse fait plus que se dévergonder un peu - ça t'arrive souvent, toi, de déféquer sur des pizzas ?

Laure Limongi a dit…

Non, c'est vrai...
Mais ça pourrait être pire !