dimanche, septembre 23, 2007

Malle (tribu) – suite de Lit la brume*

(Sous-titre – or fredonnement repère alarme**)


Sur L’Ami Butler de Jérôme Lafargue, Quidam éditeur.


Ah la la, quel bonheur d’enfin tomber sur un roman comme celui-ci en pleine rentrée littéraire, merci Georges-Marc Habib, merci Pascale Casanova de m’avoir parlé de ce livre que la critique évoque forcément peu – ya davantage à faire avec les livres sur les présidents de petite taille, le bégaiement des listes de prix saisonniers & autres crêpages de chignons, bien sûr.

La situation de départ est policière. Un couple, Timon et Ilanda Lunoilis, vivant dans une ville éloignée de tout, a disparu. La police locale contacte le frère jumeau du mari, Johan, seule famille qui lui reste, pour tenter d’élucider le mystère. Timon est écrivain de romans historiques à succès. Il s’était retiré des agitations mondaines pour prendre soin de sa femme, atteinte d’un cancer. Dès l’arrivée de Johan à Riemech, la ville mystérieuse de leur retraite, on comprend que le roman devra davantage à Borgès ou Cortazàr qu’à Simenon puisqu'effets de réel et glissement dans l’imaginaire et la fantaisie se mêlent inextricablement. Avec des coups de théâtre fantastique qui rappelleraient presque Maupassant. Sitôt la situation de départ enclenchée, je vous en avertis, ô lecteur, on ne peut plus lâcher le livre sans crainte de ne cesser d’être hanté par ses personnages. Timon et Johan étaient brouillés depuis quelques mois mais ce dernier venait de recevoir une courte lettre de son frère, d’un ton étrangement exalté, lui laissant à penser que cette disparition serait volontaire et non un fait-divers dramatique. Johan décide donc de lire les derniers travaux de Timon ainsi que son journal afin de tenter de comprendre ce qui s’est passé. Il découvre que son frère, terrassé par la maladie de sa femme, sa mort prochaine, avait délaissé le roman historique pour se lancer dans le projet de biographies d’auteurs fictifs, à travers le FACTICE : « Front autonome qui cherche et trouve d’imaginaires et curieux écrivains. » Arriva ce qui devait arriver à Riemech (anagramme de « chimère), un des personnages créés par Timon Lunoilis (= illusion), Owen W. Butler (peut-être un cousin de Louis Watt-Owen) entre dans sa réalité pour lui proposer un échange… Je m’en voudrais terriblement de gâcher le plaisir de lecture de quiconque donc je n’en dirais pas plus concernant le suspens mis en œuvre.

On dévore avec délectation les portraits d’écrivains inventés par l’auteur (enfin, les deux auteurs, Timon Lunoilis & Jérôme Lafargue… sans compter les personnages-auteurs, puisque tout est jeu de miroirs), qui brocardent parfois magnifiquement des profils littéraires bien connus (cf. l’extrait que j’ai cité précédemment). Mutatis mutandis, ils m’ont fait penser à ceux que crée Ivar Ch’vavar – mais les siens sont disséminés en revues et pour lui c’est une façon d’incarner mille identités, mille écritures – ou bien au numéro 100 de la collection « écrivains de toujours » consacré à un auteur… qui n’existe pas : Marc Ronceraille.

Jérôme Lafargue tient magnifiquement cet entredeux entre rêve et réalité, avec grâce, d’une écriture à la fois simple (« plain » dirait Gertrude Stein) et délicieusement baroque, parfois. Un sens de l’image presque pictural qui fait surgir les paysages et les situations et renforce l’étrange sentiment de curiosité et de peur presque enfantine qui traverse le texte. Ce texte qui joue du montage (situation proprement dite, fragments de textes… mis en abyme dans le texte à travers l’écrivain fictif Ricardo Rekarte) privilégie l’efficacité narrative. Il ne se perd pas en vains enchevêtrements expérimentaux mais transforme les textes de Timon en personnages à part entière du récit. Ce livre pour qui la forme est essentielle parvient également à aborder des « thèmes » que d’autres galvaudent et rendent nauseux, avec une simplicité, une justesse évidentes. Car il s’agit de la souffrance et du deuil de la femme aimée dont il est question. De la maladie, de la mort. De la perspective de la disparition d’un être cher. Et de comment vivre, écrire, avec ça. Comment un écrivain peut-il se transformer lui-même en personnage de fiction pour entrer dans son œuvre. Comment abolir les frontières entre la réalité et un monde qui se créerait lui-même, au sein duquel la mort n’existerait pas. Et là, je dis, messieurs dames, pas besoin d’autofiction à la con pour être son livre – cf. Madame Bovary, etc. (Je sais, ça a l’air évident, dis comme ça, mais tripotez un peu les têtes de gondole, vous verrez.) Dans une époque qui ne cesse de superposer de façon trop évidente création d’objets littéraires et vies réelles, ce roman incarne le pouvoir (la victoire !) de l’imagination et de la forme sur la reality-littérature.

* = L’Ami Butler
** = mon roman préféré de la rentrée
EUH, JE RÉPÈTE À L'ATTENTION DE MES AUTEURS OMBRAGEUX : MIS À PART CEUX QUE JE PUBLIE CHEZ LAURELI, BIEN SÛR, HÉ OH !!!

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