Lit la brume
Enfin un motif de joie dans les nouvelles littéraires, LA (MA) découverte de la rentrée (à part les laureli, bien sûr) : L’Ami Butler de Jérôme Lafargue, chez Quidam éditeur dont je vous recommande l’acquisition immédiate. Avant d’en parler plus en détail, un passage !
Dans le jeu de miroirs qu’est ce roman, l’extrait suivant constitue une pièce du puzzle : une biographie fictive d’écrivain écrite par l’un des héros du roman, Timon Lunoilis :
« Front autonome
qui cherche et trouve
d’imaginaires et curieux écrivains
Fondateur, président et membre unique
Timon Lunoilis
qui cherche et trouve
d’imaginaires et curieux écrivains
Fondateur, président et membre unique
Timon Lunoilis
Note biographique 3
(Angleterre, roman populaire, années quatre-vingts)
Version définitive achevée le 2 octobre 2006
Malcolm Dunbarne (1965-1997)
Certains écrivains prennent un plaisir sardonique à se conformer à des images stéréotypées. Ces comportements leur assurent une médiatisation que n’aurait peut-être pas permis la seule confection de livres, tâche qu’ils sont d’ailleurs souvent dans l’incapacité de réaliser, préférant la confier à des faiseurs professionnels. En s’identifiant à un air du temps frivole et changeant, ils se vendent comme un produit parmi d’autres. Une fois qu’ils ont peaufiné leur posture, on parle d’eux à outrance, puis par intermittence, puis plus du tout. La majeure partie du publie les oublie alors, se souciant peu du devenir de ces garçons pâles et arrogants, similaires à un point tel que l’on se surprend à penser qu’il s’agit peut-être de la même personne que l’on recycle à intervalles réguliers.
Malcolm Dunbarne appartenait à cette catégorie, malgré une certaine originalité. En effet, non seulement il écrivait lui-même ses livres, mais il donnait en plus à ses poses multiples les atours de la magnificence et du jusqu’au-boutisme. Bien que très conscient de la vacuité de son attitude, il ne pouvait imaginer mener sa vie autrement que d’une manière radicale, gage pour lui d’une parfaite honnêteté. Il respecta ainsi les codes inhérents à son personnage factive, et il en épuisa toutes les possibilités, créant autour de lui une aura d’élégance et d’abandon de soi qui forçait l’admiration.
Il publia son premier roman très jeune, à vingt-et-un ans. Institulé Faster & Deeper, faiblement traduit par Trop vite, ce livre narre de façon convenue les aventures d’un jeune homme de vingt-et-un ans pris dans le tourbillon de la bonne société londonienne, s’exerçant tour à tour à l’oisiveté, la drogue, la sexualité débridée, la violence et, pour finir, à la fausse contrition, ce qui lui permet d’intégrer la rédaction d’un magazine littéraire à la mode. Ce repentir, auquel personne ne croit, mais la règle est que tout le monde fasse mine d’y croire, lui donne l’opportunité de conserver une image publique lisse et honorable. Le message de ce livre – d’une grand profondeur… –, paraît donc le suivant : vous pouvez vous livrer aux libations et aux expériences les plus extrêmes, à condition de garder une dignité de façade. Comme par hasard, Malcolm Dunbarne est lui-même recruté quelques semaines après la rédaction de son livre par la rédaction de Confused, un magazine culturel léger comme une plume de serin. Trop vite obtient un franc succès, l’un des premiers d’un genre qui va désormais encombrer les tables des libraires au cours des années quatre-vingt. On sent que Dunbarne l’a écrit de façon frénétique, mais qu’il s’est malgré tout appliqué. Surtout, la précision de ses descriptions montre qu’il a vécu les situations évoquées. Bien entendu, c’est là qu’il devient intéressant.
L’année suivante, il expérimente à peu près toutes les drogues disponibles sur le marché. La rédaction de Confused accepte même qu’il rédige un article sur les mérites comparés de la cocaïne et du LSD, dont la popularité décline de plus en plus à cette époque. On le voit dans les réceptions les plus snobs comme les plus ensauvagées. Il s’y comporte comme un prince : s’il adopte sans barguigner les règles spécifiques à ces agapes, il y ajoute toujours l’élément de son cru qui la le rendre unique. Ainsi lorsqu’un parlementaire de la Chambre des Communes organisa une sauterie pour fêter le diplôme oxonien de sa chère fille, il s’y présenta vêtu sobrement d’un costume d’excellente coupe. Mais il le fit au bras d’une jeune fille étrange aux cheveux sales, parée d’une robe rouge beaucoup trop longue. Il faudra attendre le milieu de la soirée pour se rendre compte que la fille était un garçon, leader éphémère d’un groupe de néo-punk tout aussi éphémère, au nom douteux de Fuckin’ Fuck. Le scandale provoqué n’en fut pas un, car le génie de Malcolm Dunbarne était de provoquer l’acceptation immédiate de ses frasques par les plus farouches de ses opposants. Avant que le chanteur déjanté ne s’effondre, abruti d’alcool et de drogue, et provoque un esclandre, il l’assomma en public, mais avec noblesse. Puis il le saisit dans ses bras, le portant telle une princesse évanouie, pour l’amener dans une chambre de la demeure de son hôte. Revenant dans la salle d’apparat, il prononça à voix haute et claire “ Elle dort comme un arbrisseau fragile. ” »
(L'Ami Butler, p. 100 à 103)
Certains écrivains prennent un plaisir sardonique à se conformer à des images stéréotypées. Ces comportements leur assurent une médiatisation que n’aurait peut-être pas permis la seule confection de livres, tâche qu’ils sont d’ailleurs souvent dans l’incapacité de réaliser, préférant la confier à des faiseurs professionnels. En s’identifiant à un air du temps frivole et changeant, ils se vendent comme un produit parmi d’autres. Une fois qu’ils ont peaufiné leur posture, on parle d’eux à outrance, puis par intermittence, puis plus du tout. La majeure partie du publie les oublie alors, se souciant peu du devenir de ces garçons pâles et arrogants, similaires à un point tel que l’on se surprend à penser qu’il s’agit peut-être de la même personne que l’on recycle à intervalles réguliers.
Malcolm Dunbarne appartenait à cette catégorie, malgré une certaine originalité. En effet, non seulement il écrivait lui-même ses livres, mais il donnait en plus à ses poses multiples les atours de la magnificence et du jusqu’au-boutisme. Bien que très conscient de la vacuité de son attitude, il ne pouvait imaginer mener sa vie autrement que d’une manière radicale, gage pour lui d’une parfaite honnêteté. Il respecta ainsi les codes inhérents à son personnage factive, et il en épuisa toutes les possibilités, créant autour de lui une aura d’élégance et d’abandon de soi qui forçait l’admiration.
Il publia son premier roman très jeune, à vingt-et-un ans. Institulé Faster & Deeper, faiblement traduit par Trop vite, ce livre narre de façon convenue les aventures d’un jeune homme de vingt-et-un ans pris dans le tourbillon de la bonne société londonienne, s’exerçant tour à tour à l’oisiveté, la drogue, la sexualité débridée, la violence et, pour finir, à la fausse contrition, ce qui lui permet d’intégrer la rédaction d’un magazine littéraire à la mode. Ce repentir, auquel personne ne croit, mais la règle est que tout le monde fasse mine d’y croire, lui donne l’opportunité de conserver une image publique lisse et honorable. Le message de ce livre – d’une grand profondeur… –, paraît donc le suivant : vous pouvez vous livrer aux libations et aux expériences les plus extrêmes, à condition de garder une dignité de façade. Comme par hasard, Malcolm Dunbarne est lui-même recruté quelques semaines après la rédaction de son livre par la rédaction de Confused, un magazine culturel léger comme une plume de serin. Trop vite obtient un franc succès, l’un des premiers d’un genre qui va désormais encombrer les tables des libraires au cours des années quatre-vingt. On sent que Dunbarne l’a écrit de façon frénétique, mais qu’il s’est malgré tout appliqué. Surtout, la précision de ses descriptions montre qu’il a vécu les situations évoquées. Bien entendu, c’est là qu’il devient intéressant.
L’année suivante, il expérimente à peu près toutes les drogues disponibles sur le marché. La rédaction de Confused accepte même qu’il rédige un article sur les mérites comparés de la cocaïne et du LSD, dont la popularité décline de plus en plus à cette époque. On le voit dans les réceptions les plus snobs comme les plus ensauvagées. Il s’y comporte comme un prince : s’il adopte sans barguigner les règles spécifiques à ces agapes, il y ajoute toujours l’élément de son cru qui la le rendre unique. Ainsi lorsqu’un parlementaire de la Chambre des Communes organisa une sauterie pour fêter le diplôme oxonien de sa chère fille, il s’y présenta vêtu sobrement d’un costume d’excellente coupe. Mais il le fit au bras d’une jeune fille étrange aux cheveux sales, parée d’une robe rouge beaucoup trop longue. Il faudra attendre le milieu de la soirée pour se rendre compte que la fille était un garçon, leader éphémère d’un groupe de néo-punk tout aussi éphémère, au nom douteux de Fuckin’ Fuck. Le scandale provoqué n’en fut pas un, car le génie de Malcolm Dunbarne était de provoquer l’acceptation immédiate de ses frasques par les plus farouches de ses opposants. Avant que le chanteur déjanté ne s’effondre, abruti d’alcool et de drogue, et provoque un esclandre, il l’assomma en public, mais avec noblesse. Puis il le saisit dans ses bras, le portant telle une princesse évanouie, pour l’amener dans une chambre de la demeure de son hôte. Revenant dans la salle d’apparat, il prononça à voix haute et claire “ Elle dort comme un arbrisseau fragile. ” »
(L'Ami Butler, p. 100 à 103)
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