dimanche, février 03, 2008

Madman Bovary, c’est lui



… plongée dans Madman Bovary de Claro, mais pas complètement, à mi-cuisses, non pas parce que l’eau est froide, au contraire, mais parce qu’absorbée par mes propres interstices d’écriture – échéance oblige, pour une fois, moi qui n’aime pas ce genre de seuils, mais c’est sans doute par peur et encombrée de moi-même que je ne les aime pas – et ne sachant pas, je l’ai déjà écrit, monter un escalier en mâchant un chewing-gum, id est, me perdre dans l’écriture de Claro et dans la mienne, tout à la fois, être à la fois en moi et hors de moi, non, je ne sais pas faire ça. Mais ce que j’ai lu du livre est grand, commotionnant, et j’ai hâte de laisser mes neurones, mes émotions s’imprégner de sa prose, tout comme le narrateur de Madman Bovary s’immerge en Madame Bovary, le diffracte, l’avale, le recrache, le caresse, le malmène, le fait entrer dans sa vie, dans son corps, comme un membre en plus, un organe salvateur.

« Poisson hameçonné, donc, mais pas encore arraché à la flaque bavarde, je sais combien ma lecture est fragile. Les mots n’ont pas encore trouvé leurs racines, le phrasé demeure branlant comme une dent sous le davier, je dois fermer des yeux que je serais incapable d’écarquiller pour mieux voir les limites de l’écran qu’interpose la lecture.
Si je passe d’un groupe de lettres à l’autre sans volonté de ricochet, si j’enjambe des relatives ou piétine des incises, je sais ce qui se passera. Le crabe du regret refermera ses pinces sur mes couilles et adieu ivresse. Pour ligaturer convenablement l’obnubilant chagrin, les armes sont chiches et souvent mal affûtées.
Bon. Ramassez un galet, glissez-le dans votre poche puis courez, courez. Ça cogne. Ça tressaute. Coupez vos poches. Bovarysez tout ce qui contient et protège. Je rêve d’une poche qui ne me contienne en rien et se paie de mots, une vesse assez résistante pour n’empocher que mes gains et laisser vaquer au vent les mille et une pertes de ma petite personnalité.
J’aurais pu me rouler dans la steppe de Jivago ou m’égarer entre les lustres du Grand Meaulnes, enfiler le fin coton de Mademoiselle Else ou désapprendre à vivre avec Pavese, mais le sort a voulu que mon dévolu épouse celui de cette sotte Emma B. et c’est tant mieux. Tant mieux pour Madman Bovary !
Flaubert peut être fier de lui : il a bouffé un bourgeois de plus. »

Madman Bovary, Claro, Verticales, p. 21.

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