Raymond Federman
En 2002, nous buvions un verre dans un café de la rue Rambuteau, il regardait d’un air gourmand une belle parisienne en fumant une cigarette – je crois qu’il ne fumait plus qu’en France, pour le geste, pour le souvenir –, le visage fendu d’un grand sourire lumineux qu’il arborait souvent, les yeux pétillants, et avec ce même sourire, il m’a dit : « Tu sais, Laure, je suis un vieux bonhomme maintenant. Un jour, un de ces jours, dans pas longtemps, des extraterrestres vont venir me chercher pour m’emmener dans leur planète. Il va falloir t’habituer… »
Je ne l’ai pas cru à ce moment-là, bien sûr. J’ai vite changé de sujet. Je croyais qu’il était immortel, notre Raymond. Et puis ces salauds d’extraterrestres ont fini par venir le chercher, comme il l’avait dit. Peut-être est-il dans la file de la zone des Carcasses. Peut-être est-il en train de raconter des histoires aux autres Carcasses pour faire passer le temps, extrapolant quant à sa transmutation. Peut-être le grand Sam l’attendait-il pour organiser la plus grande révolte que la zone des Carcasses ait jamais connue, en triste fourire, bien entendu.
Sans sombrer « dans la grande connerie méta-pata-physique », je ne peux m’empêcher d’imaginer les retrouvailles avec sa mère Marguerite – déportée à Auschwitz dans le convoi 14, wagon 16, le 3 août 1942 –, son père Simon – déporté à Auschwitz dans le convoir 24, le 28 août 1942 –, et ses sœurs Sarah et Jacqueline – déportées à Auschwitz dans le convoi 21, wagon 2, le 19 août 1942. Raymond Federman a été incinéré « dans la tradition familiale » – j’emprunte cette expression au père de mon amie Laure Mentzel qui avait demandé qu’elle figure dans son propre avis de décès. Je crois que Raymond ne l’aurait pas reniée.
Je pense à Erica, sa femme, Simone, sa fille, à toute sa famille. À ses amis, ceux que je connais, Nathalie, Stéphane, Pierre, Christian… ceux que je ne connais pas. Et je pleure Raymond que j’aime tant, qui me manque tant. Grâce à sa mythologie carcassienne, je vais l’apercevoir sans cesse, dans le mouvement dansant d’une feuille qui tombe à l’automne, le rire d’un enfant, les bulles d’un grand cru de Champagne, le son d’une viole de gambe, la couleur métallique que prend parfois la mer dans le port de Bastia. Tout ce qui émeut et emporte dans un grand courant de vie.
Quelques bye bye frenchy à la queue leu leu :
Claro
Fric Frac Club
Le Monde
Sitaudis
Lignes de fuite
Peggy Sastre
BibliObs
L'Huma
Mouvement
Christine Bauer
Marc Pautrel
Libr-critique
Poezibao
Claude Chambard
Remue.net
La Revue Internationale des Livres et des Idées
Paulette
Le Permanent
Hublots
Libé
Politis
Cousu main
La Ligue des droits de l'homme Bagneux-Malakoff-Montrouge Autofiction.org
Lettre d'Anna-Patricia Kahn sur le blog de David Genzel (bas de page)
Le vieux monde qui n'en finit pas
3 commentaires:
En admiration de son oeuvre et de tout coeur avec toi, Laure.
Ses livres continueront longtemps à le faire vivre, tu le sais.
Je suis triste de cette disparition. Je ne l'ai croisé que dans son oeuvre, et c'est déjà beaucoup pour moi.
Merci à lui pour tout ce qu'il a fait en poésie.
C'est un immense auteur, et je vous remercie de nous le faire lire.
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