Contrat pour un corps
Il y a quelques jours, sur Facebook, Valery Poulet a posté le lien d’un billet fort intéressant sur Michel Journiac. Connaissant l’œuvre de cet artiste depuis une douzaine d’années – on en parlait beaucoup chez Al Dante à la fin des années 90 avec Vincent Labaume et Jean-Luc Moulène, intarissables sur le sujet ; Al Dante avait d’ailleurs publié à l’époque Le Tombeau de Michel Journiac [1] – l’aimant passionnément, j’avais l’impression que tout le monde avait conscience de son importance mais ce n’est apparemment pas le cas. Il est mort jeune – en 1995, à l’âge de soixante ans – laissant derrière lui en majorité des œuvres de performance, donc – pour parler le langage des marchands – peu commerciales. Ceci expliquerait cela.
Il est l’un des créateurs – certains disent le créateur, mais je ne suis pas historienne de l’art – de l’art corporel, le corps étant pour lui le médium principal, dans un rapport toujours violent aux codes sociaux, « une viande consciente socialisée ». Un corps plastique, un corps travesti, révélant les codes et les regards : « il n’y a pas de corps existant de façon absolue. Celui-ci est lié à toute une série de contextes, d’objets, vêtements, etc. À partir de là, je pense toute la question de mon travail. »[2]
Selon Julia Hountou [3], « D’Hommage à Freud (mars 1972) à Piège pour un travesti (juin 1972) en passant par L’inceste (mars 1975) et 24 heures de la vie d’une femme ordinaire (novembre 1974), l’artiste manie l’hyperbole, à partir de détails (maquillage, parure, déguisement, geste, scénographie) selon différentes graduations qui vont d’une imitation discrète qui témoigne d’une retenue, d’une sobriété, à une exagération parodique. Journiac oscille entre le pastiche et la caricature. Son style parodique évolue en fonction du degré de transformation de son référent. La ressemblance tend à devenir de moins en moins prééminente, alors que la distance conçue par la satire dans l’appréhension ludique de la réalité augmente. »
Parmi mes œuvres préférées, l’Hommage à Freud, où Michel Journiac demande à ses parents, Robert et Renée, de poser, sans apprêt particulier, dans leur tenue ordinaire, pour ensuite s’habiller de leurs vêtements et se fondre dans le miroir de la ressemblance génétique.
Et 24 heures dans la vie d’une femme ordinaire où Michel Journiac mime la vie de la petite-bourgeoise, d’une fade banalité. Manifeste éminemment féministe, ou plutôt, humaniste. « Je n’avais pas la prétention en m’habillant en femme pendant 24 heures de mettre à nu toute la complexité de la condition féminine. Je voulais plutôt illustrer un certain nombre de situations, les expérimenter avec mon propre corps, amener le public à se poser des questions, montrer aux femmes combien elles sont piégées et aux hommes, ce qu’ils peuvent faire d’une femme. » [4]
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Notes
[1] Tombeau de Michel Journiac, paru en 1998 chez Al Dante, texte de Vincent Labaume (éloge funèbre à Michel Journiac écrit par Vincent Labaume et prononcé à l’église Notre-Dame de la Garde en 1995) et portrait mortuaire executé par Jean-Luc Moulène chez l’artiste. Ce livre est aujourd’hui introuvable, mais si vous voulez essayer : ISBN 978-2911073182
[2] « Dix questions sur l’art corporel et l’art sociologique » : débat entre Hervé Fischer, Michel Journiac, Gina Pane et Jean-Paul Thénot, Paris, 18 novembre 1973 : Artitudes International n° 6/8, décembre 1973 - mars 1974, p. 5.
[3] Julia Hountou, article publié dans Art Présence, n° 39, juillet-août-septembre 2001, p. 2-15, repris sur le site Exporevue.org
[4] Entretien avec Michel Journiac, Marie-Claire, 1973-1974.
Consulter également le site consacré à Michel Journiac.
Lire : Michel Journiac par Vincent Labaume (paru à l’occasion d’une exposition au musée de Strasbourg, collectif comprenant également des textes de Fabrice Hergott, Emmanuel Guigon, Arnaud Labelle-Rojoux…), éditions des Musées de Strasbourg-École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, 2004, ISBN : 978-2840561422.
{Toutes les photos © Michel Journiac.
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