mardi, août 03, 2010

Douce France

C’est un hexagone qui atteint 671 000 km2, son littoral s’étend sur 8245 km. Une merveille écologique, un catalogue de paysages, des falaises bretonnes aux massifs alpins, des campagnes verdoyantes à l’île de beauté, et même de l’outre mer avec du climat tropical. Une histoire avec de la fleur de lys, de la bataille rutilante, du héros national, du patrimoine. Une perle européenne où il fait bon vivre, que l’étranger nous envie. France, terre de culture, de bonne bouffe, de raffinement. Baguette de pain, hôtels de charme, châteaux de la Loire, confit de canard, et Code pénal. Oui mais voilà. Vous la sentez, cette pesanteur qui s’abat sur nous depuis quelques années ? Vous sentez cette honte d’observer chaque jour un peu plus la liberté, l’égalité, la fraternité bafouées ? Les Lumières à la cave, la muséification délétère, l’oubli des valeurs, la création considérée comme un passe-temps superfétatoire. Vous aussi vous pleurez bêtement en regardant des CRS violenter des familles sans logement ? Et puis ensuite vous vous étouffez tout aussi bêtement dans vos pleurs, animé d’une rage impuissante ? Muselé par l’impuissance. Le dégoût, la résignation, sont votre quotidien. Vous travaillez plus pour gagner moins. Vous avez peur, l’hiver, de croiser les regards de ceux qui dorment dehors, vous vous dites mais pourquoi ne trouve-t-on pas de solution ; vous vous dites et si c’était moi, si je déconne, si quelque chose déconne, ça peut être moi ; vous êtes secoué d’un frisson et vous accélérez le pas ; vous comprenez que si on ne trouve pas de solution, c’est pour que vous ayez peur et que vous marchiez droit, que vous fassiez tout pour ne pas finir à la rue, comme on laissait les pendus se balancer aux coins des rues au Moyen Âge. Vous rêveriez de soulever des montagnes, vous arrivez à peine à vous lever le matin. Vous voudriez partir au bout du monde soulager toute la misère du monde, vous n’avez même pas la constance d’agir à votre porte. Vous fantasmez des idéaux et vous ne parvenez pas à en soutenir l’intensité. Vous restez interdit, suspendu dans la fange. Vous êtes outré de voir partir des charters. Vous êtes choqué de constater qu’on institue un outrage au drapeau, plein de sang dans le bas et de ciel dans le haut, alors que n’importe quel citoyen peut être maltraité à tout moment par une police toujours plus puissante. Vous avez une carte d’identité et même un passeport, vous avez eu la chance de l’obtenir sans difficulté, étant français de parents français. Vous êtes soulagé de ne pas avoir eu de difficulté à obtenir votre passeport. Vous avez une carte électorale, que vous utilisez docilement à chaque élection, vous votez même utile, quand il le faut, souvent avec un haut-le-cœur. Vous écarquillez les yeux quand vous entendez nationalité et déchéance. Vous n’y croyez pas trop, mais vous avez bien entendu. Vous n’avez pas la force d’y croire, vous avez déjà avalé tant de couleuvres. Vous regretteriez presque Giscard et Chirac. Vous n’êtes pas du même bord politique, mais vous n’aviez pas honte d’eux. Le dégoût colle, l’écœurement se respire. Vous évoluez dans un cirque d’indignité, vous faites la roue, vous trébuchez, vous vous relevez, époussetant les compromissions. Vous vous sentez infiniment vieux alors que vous ne l’êtes pas… comment les choses ont-elles pu dégénérer aussi rapidement ? Vous vous demandez si cela va changer un jour. Vous vous dites qu’il faut que cela change, un jour, et vite. Vous espérez une énergie, une synergie, quelque chose. Vous pensez aux dictatures, aux blessures de l’Histoire, et vous vous demandez comment vous pouvez vous laisser atteindre par cette chape infâme aux habits de redressement économique alors que vous marchez librement dans la rue, alors que votre vie n’est pas menacée ; vous en êtes gêné. Vous vous pensiez plus fort que ça. Mais ça s’insinue, insidieusement, ça ronge. Vous ne vous sentez pas à la hauteur du défi. Vous devez être à la hauteur, pourtant. Oui, vous.


Ajout du 28 août :

2 commentaires:

Unknown a dit…

Bonjour Laure Limongi

Je trouve votre billet intéressant, car il entame la problématique là où ça fait mal, au lieu de désigner directement des personnes. En sa qualité d'immersion subjective comme on le dit des caméras, l'objectivité ne s'en ressent que plus fortement, car elle laisse la place à une “éventuelle” prise de conscience personnelle, au lieu de trop enfoncer des portes ouvertes. Je m'explique: tout d'abord, telle l'intro de “bienvenue chez les chtis”, on survole la campagne, on cartographie la béate fierté nationale, nous sommes contemporains, on a les moyens, mais en somme, le méritons-nous? Car ensuite commence le dressage d'un constat amer que nous pourrions juger comme innocent, tardif, inutile même dans son impuissance, s'il ne recensait les éléments un par un avec la garantie de s'approcher de l'essentiel grâce à l'humilité: l'inertie, l'impuissance, le dégoût et la gène même pas entière, en tant que préceptes d'une révolution de l'intime, encore et toujours, en lieu et place d'une révolution tout court qui parait inaccessible. Ainsi l'on repart à zéro, encore plus frustré, auto-censuré, car peut-être complice du pire, arpenteur d'une machinerie complexe qui a tout verrouillé autour d'elle pour empêcher toute dissonance, tout désagrément social, politique, culturel. Il y a fort à parier, alors, que les actions possibles ne se situent pas dans l'expression de la hargne classique, de la banderole ou du discours fort, car ils viennent pour ainsi dire « faire marcher la machine », la huiler un peu mieux, la renforcer, créant ainsi de nouveaux angles dans le labyrinthe. Peut-être avez vous raison de nous avouer vaincu, car ça, « ils » ne l'avaient pas prévu. Le virus ainsi distillé échappera aux défenses classiques qui siègent en chacun de nous.

auddie

Cécile Thérèse Delalandre a dit…

Oui, Auddie je trouve aussi que ce billet est pertinent car il reflète fort bien ce que chacun d'entre nous ressentons.

Ce constat si terrible de voir un peu plus chaque jour notre liberté bafouée à tous les niveaux et cette crâne injustice qui frappe sans vergogne les plus faibles d'entre nous, et puis surtout cette inertie qui, malgré la conscience que nous avons de cette terrible dérive, enveloppe bien serré,notre quotidien.

Peut-être n'avons pas encore assez faim? Non, je ne le crois pas. Je crois que comme en 1789, le peuple français sortira de sa torpeur quand la" middle class" (la bourgeoisie de l'époque) sera vraiment touchée... ça ne saurait tarder, ça a déjà commencé...