dimanche, février 25, 2007

un sujet expérimental échappe au contrôle


Image © Hergé Moulinsart 2007

Au-delà de ce que sont devenus les galvaudés OLNI*, Emmanuel Rabu crée avec Tryphon Tournesol & Isidore Isou un livre proprement inouï qui marque une étape majeure dans le domaine du brouillage générique. Ni essai, ni poésie, ni roman… ce livre ne brise pas les frontières de genre mais les annihile, semblant partir du principe qu’elles n’existent pas – dans la logique de l’ambition lettriste. Voici donc un essai, de la poésie, un roman, nés de la rencontre de Tryphon Tournesol & Isidore Isou, c’est-à-dire de la figure de l’inventeur créée par Hergé dans Les Aventures de Tintin et du très réel inventeur du Lettrisme. Avant-garde et aventure en collision – comme souvent, les Dupont/d perdent leur chapeau sur des obstacles inattendus – c’est-à-dire qu’on doit oublier toute notion de hiérarchie entre culture savante et culture populaire qui procèdent de la même émotion. Du même mouvement.


« Tournesol est un scientifique.

L’avant-garde est une métaphore martiale.

Tournesol conçoit une arme plus destructrice que la bombe expérimentée dans le désert du Nouveau-Mexique en juillet 1945.

Filoselle**/Tournesol fabrique/nt des objets de déstabilisation.

Il ne souhaite pas être un artiste.
Ou concilier l’art et la vie.
Il ne dit pas qu’il y a des catégories.

Il n’est pas surréaliste par projection. »

(p. 28)


Laisser son chapeau voler. Et se laisser surprendre par les coïncidences qu’écrit et met en résonance le livre. Par exemple, le « Supercolor Tryphonar » (dans Les Bijoux de la Castafiore) dépasse le cisellement mis en œuvre par Isidore Isou dans son Traité de bave et d’éternité tout en synthétisant les expérimentations poétiques du XXe siècle.

Emmanuel Rabu ne réalise pas là une simple juxtaposition ludique (même si la dimension comique du livre est primordiale) mais relie avant-garde et bande-dessinée en créant un intermonde qui lui appartient, où le réel, le présent, la culture, sont analysés au prisme d’un regard avide du détail qui donne sens à l’ensemble du tableau – qu’est la vie : c’est un art, inédit de la coïncidence en tant qu’art poétique et critique et plastique. D’une énergie et d’un humour irrésistible.

Tryphon Tournesol & Isidore Isou emprunte aussi au détournement situationniste, bien sûr, d’un Debord qui se demanderait s’il soit dormir la barbe sur ou sous les draps…

Bienvenue dans l’ère de l’ORNI*** ! Une grâce avec laquelle il va falloir désormais compter.


Tryphon Tournesol & Isidore Isou, Emmanuel Rabu, Éditions du Seuil, collection Fiction & cie. Sortie le 1er mars 2007.



*Objets Littéraires Non Identifiés.
** Un personnage moins connu des Aventures de Tintin mais fondamental : Aristide Filoselle préfigure Tournesol en tant qu’élément de perturbation narrative – c’est un cleptomane.
*** Objet Rabu Non Identifié – qui échappe au contrôle.

5 commentaires:

NotBillyTheKid a dit…

Tiens donc ! Bonne nouvelle ! J'attends ça avec impatience!

si Le seuil reprend route vers la poésie ainsi, ça semble une belle nouvelle aussi.

Ce sera en plus un bon compagnon à la rencontre Tintin/Mallarmé de Lucien suel dans Les Coups (ed de l'attente)

Lucien Suel a dit…

Je l'avais pensé... mais pas osé le dire.
Félicitations à Emmanuel Rabut.

Lucien Suel a dit…

désolé pour le t final

Laure Limongi a dit…

... C'est rien, c'est la contamination des Dupond/Dupont... mais je ne connais pas (encore) Les Coups (enfin pas ceux-là)... j'y cours (ça me permettra d'en esquiver d'autres)...

Lucien Suel a dit…

Les coups : Toutes les répliques et onomatopées des pages 27 à 32 des 7 boules de cristal mixées avec la totalité bouleversée du poème de Mallarmé, un coup de dés...
Coup de foudre / Rascar Capac...