vendredi, avril 11, 2008

Le bleu de l’inflexion

Le genou est fléchi afin de disposer le corps à la verticale de la serrure.
Le corps porte la clef mais ne veut pas ouvrir, encore.
La main tient la clef en la caressant tandis que l’œil ne broie que du noir. Tandis que l’œil clair perce, sourcil contre métal glacé, fouille sans succès, l’œil à la limite de sa perception ne pourra s’en remettre qu’à l’action. Peut-être.
La main gauche est posée, à plat contre le bois de la porte qui est un bois lisse.
Le mur du couloir regarde la scène.
L’odeur savante des cheveux a séduit et bruisse du mouvement de la tête ne sachant trop si et quoi et que faire.
Avec un je-ne-sais-quoi de sauvage et perdu.
Avec un je-ne-sais-quoi de déjà mort.
La robe est froissée de toucher le sol, portant le poids du personnage léger au cœur lourd.
La robe crisse de la respiration haletante de la curiosité et de la peur.
Le mur du couloir en est ému.

Il a des carrosses et des meubles, des broderies et des miroirs.
Des maisons, des sofas, des serviteurs, de la vaisselle d’or et d’argent et de vermeil.
Il m’a voulue, moi, entre toutes, après plusieurs.
Je savais que c’était la gueule du loup. Loup bleu. Et je m’y suis jetée.
Je savais que c’était la peur bleue dont je mourrai. Et je m’y suis jetée.

Mais cela, seul le mur du couloir l’a entendu. Sa tapisserie en a tremblé. Un courant d’air de souvenirs et les motifs se sont dédoublés. Ils entourent les portes. Ils courent de chambranle en chambranle à la recherche de la sortie. Mais le conte n’en a pas puisque le méchant meurt et que les femmes se succèdent. Puisque les femmes meurent et que les méchants se succèdent. Tandis que les sœurs matent l’horizon d’un œil distrait.

Elle, en robe et coiffure, elle s’appelle Héloïse ou Éléonore ou Isaure ou Rosalinde ou Blanche ou Judith. Mais la sœur s’appelle toujours Anne. L’herbe est verte. Et la barbe est toujours bleue.

Le genou est fléchi pour demander la main.
Le corps en porte l’émotion, chaque fois.
La main tient la main, du bout des doigts, pour ne pas effrayer l’animal. Tandis que l’œil noir perce, sourcil légèrement froncé, cherche la réponse, sans succès – le personnage porte un masque d’enfance. Il ne pourra s’en remettre qu’à l’action. Peut-être.
La main gauche est posée sur le plat de l’arme, par habitude. Son contact froid en compagnon.
Le mur du salon regarde la scène.
La couleur effrayante de la barbe n’est plus si terrible et ondule comme une mer calme, du mouvement doux de la tête qui convainc en oui et oui et demain.
Avec un je-ne-sais-quoi de sauvage et perdu.
Avec un je-ne-sais-quoi de prédateur.
Les chausses plissent de toucher le sol, portant le poids du personnage lourd au cœur lourd.
Les chausses crissent de l’impatience de l’homme qui serait presque de la peur.
Le mur du salon en est ému.

La confiance est donnée pour qu’elle ne soit pas prise.
(Bartok ajoute ici des clarinettes dans l’aigu avec des gammes rapides de flûtes et de xylophones).
De toutes les couleurs, l’interdite est le rouge puisque c’est celle du sang. Tu peux porter du jaune, tu peux porter du vert, tu peux porter du rose, tu peux porter du gris, tu peux porter du violet, tu peux porter du brun (le noir est triste). Du bleu, bien sûr.
Ouvrir tous les coffres, entrer dans toutes les pièces de la maison, sauf.

Il y a beaucoup de clefs. De nombreuses clefs qui ouvrent toutes les portes et donnent accès à toutes les richesses. Il y a beaucoup de clefs et c’est la plus petite. La moins ouvragée. Elle est terne et secrète. Elle ne sert à rien d’ailleurs tu ne la connais pas mais je te la confie quand même. Pour que tu l’oublies et la ménages d’oubli. Pour que tu l’oublies et volages, tête au vent, tandis que tu plongeras tes mains dans l’or, la soie, répandant la myrrhe.

Et d’abord, ma barbe n’est pas bleue, elle est corbeau. Plume et lustre. Du noir de la nuit bleue. Avec le vent de la course. La confusion était facile. Je vole à mon destin tandis que tu ménages le tien, en intérieur damassé, peuplé de courants d’air qui perturbent les motifs. Ne cherche pas de sortie, il n’y en a pas. Puisque le méchant meurt et que les femmes se succèdent. Puisque les femmes meurent et que les méchants se succèdent. Tandis que les sœurs – Anne – matent l’horizon d’un œil distrait.

Le genou ne fléchit pas puisque le corps se tient en miroir de la porte. Hésitant.
Le corps porte la clef, la plus petite, la plus inquiète, et se décide à ouvrir.
La main tient la clef et d’un geste tremblant l’enfonce dans la serrure et tourne, dans le noir du vide de l’interdit.
La main gauche sur la hanche donne une contenance en pressant l’étoffe qu’un ongle blesse un peu.
Le mur du couloir regarde la scène.
La suite on la connaît. (Ou si on ne la connaît pas : demander au mur du couloir.)
Avec un je-ne-sais-quoi de pervers.
Avec un je-ne-sais-quoi de déjà lu.

L’obscurité se laisse déchiffrer, les silhouettes apparaissent. Elles prennent dimension, se sculptant de l’histoire et de l’imagination.
Scène, surprise, stupeur, peur.
Odeur tenace de la mort.
Le corps vibre et abandonne la jolie tête qui flanche.
Après la chute de la clef (la plus petite, la moins ouvragée) les remords sont déployés mais.
Le rouge est mis.
Tu sais bien dis, comment c’est.

Retour précipité de la barbe qui n’est pas bleue mais noir du noir de la nuit bleue. C’est le privilège des personnages (le costume).
Malgré la robe, malgré l’odeur savante des cheveux, malgré les sourires et les tendresses, la clef est demandée. Requise. Exigée. Criée. Elle (Héloïse ou Éléonore ou Isaure ou Rosalinde ou Blanche ou Judith) pose sa tête sur sa poitrine, sous le bleu du ciel des aveux. Elle attendrirait un rocher. Et ses cils battent au rythme des jours qu’elle aimerait vivre encore. Malgré la clef, malgré la barbe, malgré le rouge. Et sa main, doucement, flatte l’épaule qui se raidit. L’œil est noyé de peur. Or. Le cœur est lourd et la confiance est prise. Les murs, tous, tremblent. Panique dans les motifs, fuites. Or, malgré la sœur et la tour, et le bleu et le vert, les coups de théâtre et les frères, il faut bien donner le petit chaperon rouge à manger au lecteur. C’est son privilège. Avec un je-ne-sais-quoi de déjà lu. En tout bien tout honneur.

Le genou est fléchi afin de préparer la tête à la mort.
Le corps porte l’histoire mais ne veut pas la finir, encore.
La main se tend en réflexe de supplication mais ne sent déjà plus rien.
Le rouge est mis.
Le mur du couloir ferme les yeux.
N’oubliez pas son copyright.


(Paru dans Action Poétique)

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