La promenade ne change pas
Je travaillais pour une boîte pas très claire, mais évidemment, maintenant, je ne sais plus pourquoi. On faisait une espèce de fête pendant le tournage d’un film auquel participait Angelina Jolie et tout le monde n’arrêtait pas de répéter que j’avais de la chance, ça m’agaçait, je ne cessais de me dire qu’ils parlaient sans savoir. J’étais d’assez mauvais poil mais j’avais des raisons. Je me suis énervée face à un comportement indélicat – on me reprochait de boire trop d’eau, il fallait en laisser pour les autres, alors que bien évidemment, j’y prenais garde – et je me suis barrée. J’étais très étonnée de réagir aussi vivement moi qui généralement encaisse beaucoup, par politesse. Passant en voiture devant le goujat, j’ai même fait un doigt d’honneur. Je me suis retrouvée à Bastia, maman est venue me chercher tout au bout de la promenade le long de la mer. Les tamaris bougeaient un peu, la mer était couleur acier, comme souvent à cette époque. Maman était toujours aussi longue et mince, pas très diserte. Je lui disais que c’était formidable que rien ne change, et je me reprochais d’être trop bête : j’aurais dû me réfugier là plus tôt, j’avais mon ordinateur et mon chat, je me retrouvais dans ma maison avec maman, l’essentiel quoi, j’étais bien, je planifiais déjà les vacances de Noël. Maman me faisait remarquer que je m’y prenais tard, je lui répondais que je reviendrai même à la nage s’il le fallait. C’était si serein d’être là, maman avait un nouveau tout petit chien en plus des deux chats, je me disais que ses amis avaient dû lui offrir parce que je n’étais pas assez souvent avec elle. Je pensais que vraiment, je m’étais noyée dans un verre d’eau puisque j’avais cette île-là à laquelle m’amarrer, puisque j’avais maman. Et puis ces murs et ce paysage, le port de Bastia, que je connais par cœur. Je m’apprêtais à appeler Célia pour passer chez ses parents. Et puis évidemment, je me suis réveillée.
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