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samedi, mars 06, 2010

— C’est peut-être de la moutarde ou des pruneaux.

La Tour d’Hélène Bessette (extrait) :

« Qu’y avait-il à gagner ?

— Avez-vous été dans un restaurant chinois ? Avez-vous mangé de la tortue ? Avez-vous été en Autriche ? Avez-vous été en Espagne ? Avez-vous été au Portugal ? Avez-vous été en Italie ? Avez-vous été à une première ? Avez-vous rencontré une vedette ? Avez-vous une caméra ? Avez-vous été filmée ? Avez-vous fait enregistrer votre voix ? Allez-vous sur la Côte ? Avez-vous une maison de famille ? Quelque part en France ? À défaut d’ancêtres, vous y pendrez des tableaux achetés au village suisse. Avez-vous un cardigan rouge ? Sur la neige au sport. Très décoratif. Dans le paysage. Ce petit point vert, jaune, bleu, c’est vous. Avez-vous une célébrité dans vos relations ? Recevez-vous un Directeur Général, un Président honoraire ? Faites-vous toujours attendre un peu. C’est mieux. Le hall est illuminé. Les amis sont là. Les autos s’alignent non loin. Et vous descendez l’escalier. Votre mari a-t-il une maîtresse ? Pas encore ? Alors, dit la dame, vous n’avez pas encore tout vu. Puis elle ferme son visage qu’elle avait ouvert.

— Elle a raison, reprend la voisine. Tout ce qu’elle énumère est indispensable. J’ai été dans un restaurant chinois. J’ai mangé de la tortue. J’ai été en Autriche. J’ai été au Portugal. J’ai été en Italie. J’ai été à une première. J’ai rencontré des vedettes. J’ai une caméra. J’ai été filmée. J’ai fait enregistrer ma voix. J’ai été sur la Côte. J’ai une maison de famille. J’ai acheté de vieux tableaux boulevard Ornano. C’est les ancêtres. J’ai un cardigan rouge. Sur la neige. Très décoratif. Ce petit point vermillon : c’est moi. Je porte très bien le fuseau. J’ai été photographiée. J’ai une célébrité dans mes relations. Je reçois un Directeur honoraire, un Président général. Je fais toujours attendre un peu. Les amis sont illuminés. Le hall s’impatiente. Les autos descendent l’avenue. Et je m’aligne une entrée remarquée. N’avez-vous pas d’escalier. C’est regrettable. Il faudra déménager. Mon mari a une maîtresse. Et j’en vois de toutes les couleurs.

Louise affolée.

Puis la dame referme son visage qu’elle avait ouvert.

— Je n’ai pas, bredouille Louise. Je n’ai pas mangé de la tortue. Je n’ai pas été au Portugal. Je n’ai pas rencontré d’étoiles. Je n’ai pas… Tout ce que je n’ai pas.

Puis elle referme son visage qu’elle avait ouvert.

Mais la dame poursuit, car dit-elle, j’en ai omis.
— Faites-vous du patin à glace ? Faites-vous du cheval ? Avez-vous un tennis de table ? Avez-vous un artiste dans la famille ? L’un de vos enfants est-il doué ? Avez-vous été en avion ?
Je crois que c’est tout. L’arsenal est au complet.

Suzy ajoute :
— Tu oublies inter-floral et le télé-siège. Allez-vous aux sports d’hiver ? Il faut rattraper le temps perdu, ma belle. S’il se peut. Elle a plusieurs hivers de retard en ce qui concerne le télé-siège et les sports, Louise.
— Vous n’aurez qu’à faire deux saisons par an, dit gentiment la blonde Suzy qui ne paraît pas méchante. C’est le premier pas qui coûte. Le tout est de s’y mettre. Vous en prendrez l’habitude. On s’y fait vite. C’est un tour (d’esprit) à prendre. On vous montrera. Sans parler de la pêche sous-marine.

Et pour tout le monde elle crie :
— Nous voyageons toujours en première. Et nous prenons des couchettes. C’est tellement mieux.
Est-ce que vous vous levez à midi ?
— Pour mon anniversaire, chante la dame, nous avons eu un lunch au fromage. Tout au fromage, Suzy. Vous ne le croiriez pas, Suzy. Vingt-huit sortes de fromages. N’avez-vous jamais fait cela, dit-elle en s’adressant à Louise.
Vingt-huit sortes de fromages.

Louise bégaye :
— Non, non, non, vraiment…

Suzy l’a déjà fait. Elle est au courant. Elle crie :
— Rue d’Amsterdam. Voyons. N’avez-vous jamais été rue d’Amsterdam ?
Puis elle se penche pour réclamer à la fille de cuisine : de la hure, des fricandeaux et de la fourme.
— Passez-moi donc le pâté en croûte. Le munster. Le bleu. Et envoyez-moi le vin d’Alsace. À moins que ce soit d’Italie. Et ne traînez pas. »

La Tour d’Hélène Bessette est en librairie depuis un peu moins d’un mois. Ce livre avait précédemment été publié par les éditions Gallimard en 1959 et c’est l’un de mes préférés, pour son rythme, son éternelle actualité, sa cruauté lancinante. Je sais que d’autres bessettiens de la première heure auraient préféré que je republie d’abord Garance rose, par exemple… Je finissais donc par me demander si ma passion particulière pour La Tour n’était pas une sortie d’idiosyncrasie… Mais d’après les premiers retours, je suis heureuse de constater que d’autres partagent mon enthousiasme.

Tiens, d’ailleurs, Claro en parle ici.

J’ai réalisé un entretien vidéo à propos de ce livre à la librairie Le Comptoir des mots. Nathalie Lacroix nous a reçus dans l’un des lieux incontournables de l’Est parisien, qu’elle anime avec Renny Aupetit, Noëlle Renaude – qui a signé la postface de La Tour –, Julien Doussinault – auteur d’une biographie consacrée à Hélène Bessette –, Aurélie Carpentier – dont je vous ai déjà parlé il y a peu de temps puisqu’elle effectue en ce moment un stage aux Éditions Léo Scheer… et vient, en cours d’année, de changer de sujet de mémoire pour choisir de travailler sur N’avez-vous pas froid, d’Hélène Bessette – et moi, donc, tranquillement posée derrière la caméra, cadrant et zoomant à l’envi.


Rencontre Hélène Bessette au Comptoir des mots
envoyé par laureli .

Ajout du 7 mars : mon email d'éditeur communicant relayé par François Bon.

lundi, janvier 11, 2010

« Le drame est en suspend. »

Voilà, La Tour est presque prête à envoyer chez l’imprimeur. Je vais rererefaire une lecture, passer un ptit coup de Prolexis pour être sûre, vérifier les folios. Le PDF haute déf devrait donc partir demain. Yavait un sacré paquet de conneries à la saisie du texte, sans compter les fautes de l’édition Gallimard (mais oui, même dans les années 50, je sais, un mythe s’effondre, ça a été très dur pour moi aussi)… J’ai refait entièrement la maquette à cause d’un bug. La routine, quoi. J’avais contacté Fanette Mellier pour la couverture, ainsi que je l’avais écrit, mais Fanette est comme moi, elle a beaucoup beaucoup de travail. Et comme elle est passionnée par ce qu’elle fait, elle dit souvent oui en dépit du fait que les journées ne comptent que 24 heures. En général, elle arrive à tenir le rythme mais pas toujours quand celui-ci devient infernal – encore un trait que nous avons en commun. On ne fabrique pas des saucisses en conserve, non plus, il faut pouvoir garder l’esprit frais, les neurones véloces et surtout le plaisir du faire, pas toujours compatible avec une productivité qu’on voudrait nous imposer… Bref, tout ça pour dire qu’on était méchamment en dehors des clous côté rétroplanning.

Heureusement, tel un héros intemporel, Yves Mestrallet est arrivé avec sa Jaguar blanche.

Yves Mestrallet, c’est mon héros. Quand je serai grande, je ferai des livres aussi beaux que les siens, ou presque. Avec Christine Morault, il s’occupe des éditions Memo (MEstrallet/MOrault, quoi) qui sont les meilleures éditions du monde. Et en plus, ils vivent à Nantes qui est la plus belle ville du monde après Bastia.

Je n’avais encore jamais osé lui demander de couverture, à Yves, parce que c’est un peu mon dieu du graphisme et de la typographie, un souverain du ton direct avec un sens de la couleur ancré dans la pupille, des lignes sobre, un classicisme chicissime doté d’un humour subtil. C’est toujours waou, c’est toujours parfait, du coup, ça impressionne un peu. Et puis je pars du principe qu’il faut se garder quelques plaisirs pour la route… Lorsque par un beau dimanche d’hiver – le chat dormait sous la couette et de légers flocons virevoltaient sur mon balcon, givrant les plantes crevées qui y gisent d’un linceul lacté –, j’eus le bonheur de recevoir cette tour mestrallienne qui est si bessettienne…


En fait, j’ai l’impression que sans en avoir conscience, j’ai développé une espèce de technique poussant presque subliminalement des artistes à me confier des images de couverture… J’ai compris ça hier soir. Attention, ça ne marche qu’avec les artistes que je connais, en particulier avec les amis. Et surtout, ça marche parce que je ne le fais pas exprès… 1- Ils aiment un ou des auteurs de chez Laureli ; 2- Je leur montre un essai – réalisé par mes soins – de future couverture du livre d’un auteur qui leur tient particulièrement à cœur ; 3- Ils m’envoient en réponse une autre couverture, la leur, carrément sublime, avec des bises ou de l’amitié selon notre degré de familiarité. C’est comme ça que Jean-Luc Moulène a réalisé la couverture de Casse de Daniel Foucard, et Yves Mestrallet, celle de La Tour d’Hélène Bessette…

samedi, décembre 19, 2009

D’un livre l’autre

Je suis censée écrire quatre textes ce week end. L’un de « création », comme on dit ; trois, « critiques », enfin, sur des livres, quoi. Le problème, c’est que j’ai le cerveau grillé comme la Tefal qu’Emmanuel a achevée à coups de banane au miel et au chocolat et qui a fini tristement ses jours dans la poubelle de la cour… M’enfin bon, on va essayer de se la jouer Jack Bauer du Word et d’y arriver. Copy that.

En parlant de 24 heures, avec Emmanuel Rabu, nous sommes en train de boucler les attributions de séries pour la « saison 2 » d’Écrivains en séries qui devrait paraître en novembre 2010. Je serai donc en mesure de vous présenter les acteurs de cette nouvelle saison très prochainement. Autant d’enthousiasme que pour les prémices du projet, c’est une sacrée chance de pouvoir orchestrer un tel projet collectif bouillonnant de talents même si ma boîte email est en train d’exploser et que ça va forcément finir en nuits blanches… J’ai hâte, aussi, de voir la couverture que va nous concocter Danny Steve.

Casse de Daniel Foucard est arrivé de l’imprimerie le 8 décembre. Et chez les destinataires du service de presse il y a une petite semaine. Thierry Rateau a fait des photos de Daniel qui confirment sa grande photogénie. Vous les verrez bientôt. (Et ça change de l’unique cliché façon tueur russe que j’avais pris en 2006 et qui ne rendait pas vraiment hommage au modèle.) J’ai l’impression que Thierry n’a pas de site Internet présentant son travail, c’est bien dommage, c’est vraiment un très bon artiste et une personne délicieuse. Il a photographié plusieurs auteurs aux Éditions, toujours il parvient à saisir leur personnalité, à mettre à l’aise les plus craintifs devant l’objectif. C’est aussi ça, être un bon photographe.

Vendredi, j’ai réalisé des cartes de vœux avec les tampons qu’a fabriqué Le Tampographe Sardon à partir d’une affiche foucardienne. J’ai maquetté le verso en XPress, rouge et cyan, Aurélie a massicoté les feuilles cartonnées A4, puis j’ai tamponné le recto en rouge d’abord, puis en cyan, afin de pouvoir laisser sécher tranquillement ce week end. Ça m’a vraiment détendue et j’ai même fini en débardeur sous les yeux ébahis d’Anne et de Florent – qui devaient se demander si j’avais pas chopé la grippe, celle qui fait peur. Ça faisait longtemps, depuis Al Dante, je crois, que je n’avais pas fait quelque chose « à l’ancienne ». Avec tous ces logiciels de mise en page et de traitement d’image, on finit par oublier le plaisir de la texture non numérique…

Je travaille à présent à la maquette de La Tour d’Hélène Bessette, avec l’aide précieuse de notre stagiaire Aurélie Carpentier – elle vérifie la saisie du texte, je lui montre comment maquetter un livre sur XPress, échange de bons procédés. C’est drôle de voir comment les gens saisissent un texte – puisque évidemment, concernant Hélène Bessette, il n’existe aucune version numérique ; et la reconnaissance de texte donne autant de boulot que la saisie… Certains font des lapsus révélateurs. D’autres surbessettisent Bessette ou, au contraire, tentent de la débessettiser en corrigeant – malgré les consignes – sa typographie volontairement hors des conventions. Il faut donc être très attentif et faire plusieurs relectures… et en profiter pour corriger les fautes qui avaient échappées aux correcteurs des années 50… J’ai demandé à Fanette Mellier – qui avait déjà créé le « A » façon gommettes de maternA – de réaliser la couverture de La Tour. Je ne l’ai pas encore vue, Fanette ayant au moins autant de boulot que moi… mais elle devrait arriver entre la bûche et la galette. Noëlle Renaude nous a fait le cadeau d’une remarquable postface, elle défend les livres d’Hélène Bessette depuis longtemps, sa passion pour son écriture, la lecture acérée qu’elle en fait, transparaissent dans son texte, avec l’élégance que ses lecteurs lui connaissent.

Tiens, une alarme ICal, façon vanité Mac, me rappelle que je dois y aller…