« En avant, vitesse de distorsion facteur 1 »…
{Sur La Manadologie de Céline Minard, Éditions MF.}
Si Gene Roddenberry (le créateur de Star Trek) avait lu Leibniz en fumant du THC, il aurait certainement sympathisé avec Céline Minard et on aurait peut-être eu droit à une super production avec Gilles Deleuze et Léonard Nimoy à l’affiche (+ R2D2 en guest star)? Car elle initie dans sa Manadologie une rencontre du troisième type entre Science Fiction et philosophie, développant un univers SF ludique et cohérent tout en l’investissant d’une pensée – qui n’a rien à envier à des essais de facture « classique » – sur la perception, l’être, le langage… Une sorte de science-fiction spéculative – double projection vers le futur et la connaissance. Le tout à la vitesse des Lumières.
Dans la lignée du roman philosophique made in XVIIIe siècle exilant son action dans un orient propre à rendre des réalités sociales, politiques, philosophiques plus limpides, Céline Minard – dont on avait déjà remarqué le premier « voyage », R. – confronte deux voyageurs intergalactiques à une succession d’aventures qui leur montrera d’autres notions d’existence, de langage, de pensée, d’étendue, de sentiment d’appartenance à une espèce… avec pour point commun des boissons à 55° dont la saveur et l’attrait à heures fixes ne semblent guère changer…
Ainsi faut-il lire la Manadologie en bafouillant un peu la Monadologie de Leibniz ; le héros, René Dancart, est – tiens, tiens… – attaché au doute méthodique, à la morale par provision, à la question de l’union de l’âme et du corps… ; la planète Baruch est expliquée par le sage Spaïnoz ; apparition monumentale à la 2001 l’Odyssée de l’espace, un curieux morceau de cire flotte dans l’espace, semblant tout juste « tiré de la ruche : il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il a été recueilli »… Chaque lieu, chaque personnage, chaque aventure est investi d’un souvenir philosophique signifiant, s’imbriquant dans une architecture dont le langage est le ciment et la quête…
Le commandant René Dancart et Maine, son ami Streck – son Spock à lui, un alien aux facultés surdéveloppées, télépathe, sensible et réservé qui change joliment de couleur selon son humeur – étudient les manifestations d’une « manade » lorsqu’ils sont contraints de quitter le site chassé par les autorités du métaroyaume – qui n’apprécie pas trop que ça manade à tort et à travers dans l’espace. S’en suit une série d’aventures qui les conduiront dans des univers où seront mises en jeu les notions de mesure, de langage, de performatif et de fiction. Cette quête s’écrivant dans une langue malicieuse et euphorique, tissée de dialogues savoureux (rencontre d’expressions populaires plus ou moins « futurisées » et d’idiomes aliens aux consonances musicales) et d’apartés irrésistibles. Car on se marre quand même beaucoup dans l’espace et son silence éternel entre une panne de navette, un accueil hostile, une rencontre de charme et une explosion mystérieuse…
Mais n’en disons pas plus, les planètes se découvrent, elles ne s’expliquent pas… après cette traversée riche en suspens, raisonnant sans stagner, philosophant en apesanteur, le lecteur ne pourra que se sentir embarqué dans le même vaisseau spéculatif et se laisser délicieusement aller à des mises en abyme vertigineuses du réel qui l’entoure… avec une bonne rasade de 55°, tout de même – il reste des valeurs absolues.
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Texte à paraître dans La Revue Littéraire du mois de mai 2006.
3 commentaires:
ça a l'air magnifique !
C'est pas que ça a l'air ! c'est superbe. Je ferais bien un petit voyage avec Dancart et le Treck moi. A quand le prochain livre ...?
... mais très prochainement madame Lanac, pas plus tard qu'en janvier 2007 : Le Dernier monde de Céline Minard, éditions Denoël. Un très très grand voyage, cette fois...
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