Neurartiste
Jean-François Chermann est neurologue et artiste. Les deux, dans cet ordre-là, son travail d’artiste se nourrissant de son expérience de neurologue. « L’esprit d’observation n’est point borné à un seul genre : il est l’esprit universel des sciences et des arts. » (Charles Bonnet)
Il ne cloisonne pas. Mais déplace le scientifique vers l’artistique : « C’est une construction qui part de l’archive – le réel – pour s’inscrire dans une histoire – la fiction. Dans le même temps, cette fiction est documentaire, elle est dans la réalité des observations. Quand scientifiquement, il observe les comportements cliniques et quand, artistiquement, il dissèque l’événement-création pour en produire une forme, il crée un processus de travail visuel qui existe en regard de son travail de neurologue et qui, en (re)visitant l’histoire, fait que la mémoire existe dans son actualité. » (Allotopie n°A, 1998)
Des « cas » sont présentés. Par exemple (le tout sur le site synesthesie.com) :
Le syndrome d’Alice au pays des merveilles
Syndrome de Charles Bonnet et hallucinations lilliputiennes
Le voyageur sans bagages
L’un des point commun de ces histoires est le battement entre fiction et réalité. L’interrelation entre l’art et la vie – la complexion spécifique de chaque auteur donnant naissance à des œuvres particulières.
Dans Le syndrome d’Alice au pays des merveilles, c’est un peu l’histoire de l’œuf et de la poule. Lewis Carroll, migraineux, souffrait-il déjà de ce qu’on a appelé ensuite le « syndrome d’Alice au Pays des merveilles » ?
Syndrome de Charles Bonnet et hallucinations lilliputiennes pose le même type de question concernant les Voyages de Gulliver et un possible syndrome de Charles Bonnet de Jonathan Swift.
Le voyageur sans bagages narre (à la première personne) l’histoire d’une femme amnésique à la suite d’un accident. Reconstruisant donc sa vie, redécouvrant sa vie, sa famille à partir d’un point fixe sur la frise de son existence. Appréhendant donc son passé comme on lit un roman et découvrant son propre personnage.
Jean-François Chermann a également publié un livre aux Éditions Mix (coll « blancs ») en janvier 2006 : Démence pugilistique chez un artiste alcoolique atteint d'un nanisme achondroplasique.
« Par un système de (re)présentation qui tient de l’exposé et de la performance, le sérieux du savant est mis au service de la parodie ou de la créativité alors que l’esthétique se plie aux règles arides de la recherche fondamentale.
On lui demande : est-il "normal" d’utiliser le corpus de la neurologie pour faire une œuvre d’art ? Il rétorque : notre rapport à la folie et les comportements sociaux agressifs qu’on tolère dans la vie quotidienne sont-ils bien normaux ?
C’est entre ces questions que se situe la proposition originale de Jean-François Chermann qui a pour principales ambitions de faire percevoir les normes qui maintiennent la cohésion sociale, et de critiquer certaines dérives scientifiques comme le tout génétique ou le tout biologique, au travers d’une mise en forme déstabilisant l’idée convenue qu’on se fait de l’œuvre d’art. » (Visuel(s), Revue d'arts #09 mars 2000).
J’ajouterai : en en créant une, d’œuvre d’art, agénérique, au statut d’artiste mutant.
3 commentaires:
Passionnant !
Ceci m'a l'aissé rêveur (entre autres) :
"Il existe un équivalent auditif au syndrome de CBS et nous avons d'ailleurs rencontré dans le service un cas d'hallucination complexe auditive chez une patiente très cultivée, passionnée de musique classique et présentant une presbyaccousie : cette patiente entendait, depuis plusieurs années, une symphonie qui lui était inconnue, quatre à cinq fois par jour. Aucun traitement (pas même l'appareillage auditif) n'a amélioré la symptomatologie."
Qu'on aimerait l'entendre, cette symphonie !
merci aussi - je n'avais pas cette piste - en mai prochain je passe 1 semaine à accompagner un ami chirurgien neuro, le jour dans son bloc, et le soir entretien
Merveilleuse alchimie entre les différents mondes...
Enregistrer un commentaire