jeudi, août 27, 2009

En attendant Mauricette

Mauricette Beaussart a un secret. Ce secret ronge Mauricette Beaussart. Mais la rongeant, il s’enfle de mots, bégaie les souvenirs, colorie le quotidien noir cèdre ou jaune cahier, hoquette en bouffée d’angoisse, énigme les indices, déroule son chemin sonore, polyphrène. Mauricette Beaussart a 75 ans. Elle est née à Steenbecque, dans le Nord. Elle sera institutrice comme sa mère, amatrice de poésie, voyageuse, sédentaire, souvent perdue, toujours étrange. Elle porte un cabas vert en guise de sac à main. Vit chichement dans la maison héritée de ses grands-parents. Elle a deux proches amis, Christophe Moreel et Alfonsina Vandenbeulque. Elle vient de s’enfuir de la clinique arborée où l’on soigne sa santé mentale.

On ne découvre pas Mauricette Beaussart à l’occasion de la sortie de sa Patience puisqu’on lisait son blog , en 2006, Étoile point étoile, blog détruit – dans le livre et dans la « vraie vie » – puis recommencé – les archives semblant irrémédiablement inaccessibles – le 6 mai 2009 : « Je ne suis pas usurpatrice, mais j’ai des blancs à compléter sur la pointe des pieds au risque des crampes. Je ne suis pas tombée malgré la mise dans l’abyme de ma santé mentale. Je suis l’authentique Mauricette Beaussart revenue de la maison des remords. » Mauricette Beaussart a également publié dès 1991 en revues papier ou Internet ainsi que dans l’anthologie Cadavre grand m’a raconté (Le Corridor bleu, 2006). Liens tissés entre toile et papier, frontière floutée entre fiction et réalité, apparaît donc un personnage pas comme les autres, hétéronyme plus que protagoniste, dans la tradition – et l’amitié – des doubles foisonnants et picards d’Ivar Ch’vavar – grand ordonnateur de Cadavre grand m’a raconté, entre autres aventures éditoriales.

On ne découvre pas non plus Lucien Suel romancier à force de Patience, puisque son Mort d’un jardinier (La Table ronde, 2008), nous l’avait déjà révélé, brillamment, comme tel. Ce bas monde étant parfois bien fait, La Critique Elle-Même s’en était émue, filant la métaphore en rivages mondiaux, célébrant l’avènement en chant de Figaro, ici et là. Lucien Suel réalise donc, en Monsieur Jourdain de l’ambition, l’idéal de nombreux poètes : être reconnu dans l’épreuve de l’écriture romanesque. J’ajouterai que s’il y réussit, c’est justement parce qu’il ne l’a pas cherché, il ne veut pas séduire, il écrit. Il est lui. Simple, raffiné, généreux. S’il y réussit, c’est que pour lui, le roman n’est pas épreuve, étape ou tapette à Prix mais prolongement logique de son œuvre poétique – à découvrir absolument si, fasciné par les méandres lunaires de la petite fille septuagénaire, on veut comprendre la genèse de sa création.

On ne dévoilera pas le mystère de Mauricette Beaussart. Pour le découvrir, il faudra vous donner la possibilité de vivre une belle aventure esthétique et lire impatiemment les épisodes de sa Patience. Juste une précision lexicographique en pâture d’avant-première : « Patience » vient du latin « patientia » : « supporter, endurer » – ce que l’on tait. L’évolution lexicale voit apparaître son adjectif substantivé « patient », désignant notamment le malade par rapport au médecin. « Patience » peut également signifier « réussite », en jeu solitaire – cartes tirées ainsi en 1811 chez Stendhal, page 90 chez Madame Beaussart. On ajoutera simplement en guise de cerise d’épilogue que son phrasé rappelle les grands noms de l’Art Brut. Que le roman charrie cette langue dans toute sa précieuse rugosité tout en ménageant les effets requis par le genre. Qu’enfin, oui, c’est confirmé, elle est retrouvée Mauricette, plus en forme que jamais.


La Patience de Mauricette
Lucien Suel
La Table Ronde
En librairie le 3 septembre.

{Texte à paraître dans quelques jours dans La Revue littéraire n°41.}

2 commentaires:

florence a dit…

Voila une présentation qui donne envie de découvri ce livre dont la genèse multimédia est pour le moins inhabituelle. Il sera intéressant, historiquement parlant, de creuser le rapport que Lucien Suel entretient avec son personnage, tissé de tant d eliens divers qu'il aura peut-être du mal, un jour, à dire qu'elle n'existe que dans son imagination...

Mauricette Beaussart a dit…

Dois-je comprendre qu'elle, c'est moi ?