dimanche, octobre 28, 2007

« I’m in love with life »



Parfois, et ce sont des moments de grâce, on ne se pose pas la question de ce qu’on entend. On sait que cela touche au sublime, que tout est là. C’est ce que j’ai ressenti en voyant Laetitia Shériff sur scène, à Vendôme. Ce que j’ai ressenti en écoutant son album Codification, composé avec Olivier Mellano & Gaël Desbois du groupe Mobiil.



Comme tout le monde, pour tenter de raisonner en termes de comparaison, j’ai parlé de P.J. Harvey (dont le dernier disque, White Chalk est, soit dit en passant, une pure merveille ; je cherche en vain sur quel drôle de piano elle peut bien jouer) en songeant à l’oxymore de ces voix-là : le timbre à la fois puissant & fragile, la richesse vocale s’exprimant dans le plus grand dénuement. Une palette immense qui se déroule sans virtuosité, avec émotion, cœur mis à nu sur scène dans le simple appareil de son affect et de sa générosité. Mais il est évident que Laetitia Shériff est Laetitia Shériff et c’est tout, et je suis stupéfaite de ne la découvrir qu’aujourd’hui et qu’on ne parle pas davantage de cet univers immense de la scène française. Je suis sûre que la sortie de son prochain album changera les choses.

Codification plante dès son titre la notion de série, de classification. La chanson éponyme laisse à penser qu’il s’agit d’une codification sociale, la façon dont le monde qui nous entoure s’organise d’après des valeurs déshumanisées, le pivot en étant l’argent. « … Awake me, take me… But don’t encase me in your codify. » Il s’agit évidemment de cela et d’un engagement dans la vie (« I’m in love with life »), d’une singularité à chaque note, à chaque inflexion. Dans son « Can’t you hear me », je ne peux m’empêcher d’entendre, en chœur lointain, le « can you hear me now » de Shellac, hurlé. Les pétales de roses artificielles chuchotent dans les rues, pleurent, et atteignent le ciel (« Roses ») ; l’étalage du boucher (« The Butcher’s Shop ») montre des cœurs saignants, toute une panoplie d’organes en vanités à penser.
Mais la « codification » série aussi les sentiments. S’il y a célébration de la singularité de l’individu, elle s’exprime dans le lien (« … binds… ») et tout particulièrement le lien amoureux (« for ever »). L’humain est cœur et ventre et bras. L’humain est de chair qui vibre et ressent (« like a thousand fishes swimming inside me » in « Aquarius »). L’humain est humain en tant qu’il aime et qu’il accepte l’extrême vulnérabilité dans laquelle le plonge cet amour, qui est sans pourquoi, qui est sans mesure, qui est absolu. L’être est cet à-pic là, aux bords des larmes et du vide de la souffrance. Ainsi l’amour pour un enfant à qui on chante doucement qu’il a le droit de pleurer (« Baby Man »), qu’il en a le pouvoir. Ainsi l’amour pour un père absent (« The Date »), blessure à vif et colère et manque. Ainsi les mots de Yeats, aussi, dans « That Lover », de la terre, morceau de nuit bruissant, au ciel qui contient tout.
« Lord teach me how not to lose you… » sont les derniers mots de l’album.

Toutes les paroles – mis à part le poème de Yeats – sont écrites par Laetitia Shériff. Vous pouvez entendre des extraits de Codification sur son site (pas mis à jours concernant les actualités, se reporter davantage à sa page myspace.)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce n'est quand même pas une inconnue, son premier album a bien été commenté dans la presse habituelle. Mais il paraît que les louanges critiques ne servent plus à rien pour surnager.

Laure Limongi a dit…

Bien sûr, heureusement !
Je n'ai pas dit que c'était une inconnue, j'ai dit que je ne la connaissais pas - j'ai même ajouté "shame on me" (dans mon billet sur les Rockomotives de Vendôme)!
J'ai juste eu envie d'écrire sur ce sublime album. Et les articles que j'ai retrouvé le concernant sur le net - une comparaison à PJ Harvey accompagnée de deux ou trois adjectifs tartignoles - m'ont conforté dans cette idée. Alors qu'il y a tant à dire sur la musique et les textes.
Mais les meilleurs articles n'ont sans doute pas survécu sur Internet.

Anonyme a dit…

PJ Harvey joue sur un vieil instrument de type cithare, plus, entre autres une sorte de clavecin, voir ici :

http://www6.islandrecords.com/www2/av_player/AVPlayer.php?av_asset_id=12148&av_product_id=2554&cms_site_id=2&av_type_id=2