Tour Cortina
Et puis sur une invitation de François Bon, il s’agissait d’« écrire la ville » ou plutôt d’en parler, lundi dernier.
J’étais ravie et terrorisée. Ravie de réaliser un entretien avec François (même sur la crème au chocolat Mont Blanc ou la différence entre une perceuse à percussion et une perceuse magnétique, ça m’aurait fait plaisir) et terrorisée car, que dire sur la ville du point de vue de l’écriture ou plus exactement de mon écriture ? Elle n’est pas un personnage très présent dans mes quelques livres.
En même temps, c’était vraiment étrange de se retrouver là, au 18e étage de l’une des tours de la BNF puisque quand je suis arrivée à Paris en 1995, c’était mon paysage quotidien : je vivais au 34e étage d’une tour des Olympiades, toute proche. Et de là-haut, la ville s’étendait comme un paysage doux avec un ciel immense qui me rappelait la mer. Les orages étaient en cinémascope et on entendait les oiseaux. J’en arrivais presque à aimer Noël ; de mes hauteurs, j’adorais compter les sapins clignotants, le soir. J’aurais pu tranquillement m’adonner au voyeurisme mais cela n’a jamais été dans ma nature – hélas ! quelle matière à romans ! D’autres voisins étaient plus équipés, on devinait des télescopes tout contre les fenêtres, pas vraiment dirigés vers le ciel. Alors, j’étais modèle. Ou objet de roman. Côté chambre, on voyait le cinquième arrondissement, jusqu’à Montmartre et au-delà – mais à l'époque, je n'identifiais facilement que Montmartre, Notre-Dame, Beaubourg... J’ai mis beaucoup de temps à comprendre pourquoi les bâtiments s’éclairaient tout à coup terriblement, successivement – les péniches ! Le chat, quant à lui, n’a jamais compris d’où il pouvait bien voir des êtres humains de la taille de fourmis. Il est vite retourné dans ses zones méditerranéennes avant de sombrer en dépression. En se penchant de la fenêtre de la chambre et en regardant en direction de la tour Helsinki (la tour de luxe aux appartements cinq pièces), on pouvait voir la Tour Eiffel mais on n’aimait guère que je me penche. Pourtant, j’ai toujours aimé regarder la Tour Eiffel. Côté salon et cuisine, c’était le XIIIe asiatique (Tang Frères en à-pic) et la banlieue, avec cette cheminée crachant en permanence une fumée blanche. Après avoir regardé pendant trois ans cette zone « Très Grande Bibliothèque » en construction, voilà qu’à présent, je cherchais la fenêtre de mon ancien appartement en ayant à parler de la ville avec laquelle j’entretiens des rapports ambivalents. À Bastia, je me définissais radicalement comme citadine – ou plutôt bastiaise, ce qui là-bas veut tout dire (une ajaccienne n’étant pas une bastiaise). J’aimais la plage, qui n’exclut pas la ville, mais la campagne m’emmerdait copieusement, rien de pire que ces interminables balades dans le maquis, la castagniccia. Je finissais toujours par me paumer et appeler mon père au secours en me retrouvant nez-à-nez avec une laie rose et noire au grognement vindicatif. En plus, je détestais l’odeur des séchoir à châtaignes qui imprégnait les cheveux et la soupe paysanne au goût très prononcé à finir absolument si on voulait espérer se lever de table ; étant astigmate, j’étais très mauvaise ramasseuse de champignons, il n’y avait guère que les oronges que je repérais à peu près – un œuf à la coque surgissant entre des feuilles de châtaigniers, ça se remarque – et comme il n’y en avait pas tant que ça… Bref, citadine. Et à présent, après 2008 – 1995 = oula, déjà 13 ans à Paris, je sature un peu de l’urbanité capitale quotidienne. J’aime Paris parce que c’est beau Paris. J’aime Paris parce que dans le quartier où j’habite, je me sens en Afrique et que c’est très agréable – le patron de café qui me sert chaleureusement la main, les passants du marché Château Rouge qui se précipitent pour m'aider à ramasser mes fruits échappés d’un sac en plastic éventré… – pourvu que ça dure en ces temps obscures de sarkozysme. J’aime Paris parce que ben depuis 13 ans, j’y ai la quasi totalité de mes amis. J’aime Paris parce qu’il s’y passe beaucoup de choses artistiques. Mais le bruit permanent, les parisiens (vous savez, ceux qu’ « il vaut mieux avoir en journal »), la pollution qui me met le cuir chevelu en sang 360 jours sur 365, le temps pourri (parisien, c’est un synonyme), le coût de la vie (5 euros – ça fait quand même dans les 32 francs, je mangeais bien, pour ce prix-là, en 1995 – une pauv’ binouse de fin de cuve, ah ! ah ! ah !), la foule permanente, l’attente permanente, l’impolitesse permanente, l’absence de citoyenneté permanente… Bref, j’aime Paris comme après 13 ans de mariage. J’aurais du mal à m’en passer mais je ne survis qu’en lui faisant des infidélités de temps à autres.
Évidemment, on s’en doute, l’entretien n’a pas porté uniquement sur la ville. Beaucoup sur le processus d’écriture. Et j’aime toujours ce genre de moment unique qui permet de formuler des choses qu’on n’avait jamais formulées ainsi auparavant. C'est un cadeau inestimable.
J’aurais bien aimé être petite souris ou mulot, tiens – remarquez, dans une tour de la Très Grande Bibliothèque, mon espérance de vie aurait sans doute été très courte – pour pouvoir assister à tous les autres entretiens. Mais j’étais détendue comme un lundi avec des documents Excell à remplir pour notre diffuseur – ce qui me fait à peu près le même effet capillaire que la pollution.
Photo : François Bon.
2 commentaires:
je stocke – Arnaud M
http://arnaud-maisetti.blogspot.com/2008/10/le-balcon-en-ville.html
lui aussi a eu post-réaction via écriture et si c'est possible j'aimerais bien mettre en ligne avec la vidéo, dès qu'elle sera montée ? en tout cas, merci d'avoir pris du temps, même en lundi d'Excell ! (quant aux perceuses électriques, y a un mec il fait de la musique avec...)
Avec plaisir, cher François, je te l'ai même un peu étoffé...
Rassure-toi, rien de tel pour sauver un lundi-Excell, merci à toi !
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