Albert Angelo
Loué soit Quidam éditeur ! J’espère que je l’ai déjà écrit ici, oui oui, ça y est, je m’en souviens, c’était à l’occasion de la sortie de L’Ami Butler de Jérôme Lafargue. Je voulais également parler de Rome, regards de Rolf Dieter Brinkmann et de Désirée de Marie Frering mais l’algie est passée par là, les journées sont trop courtes, les nuits, je ne vous raconte même pas, et puis…
Bref, j’espère un jour.
En attendant, puisque je me suis levée tôt et que j’ai séché un cours de CAF (oh la vilaine ! ), je vais vous parler d’Albert Angelo (s’il vous plaît, prononcez Albert Àndgelo, avec l’accent tonique au bon endroit, ça me fera plaisir, et cela rend le nom tellement ironique, ainsi…) de B.S. Johnson dont Quidam a déjà publié trois autres traductions :
R.A.S. Infirmière-Chef, une comédie gériatrique, 2003 (première publication en Angleterre : House Mother Normal, 1971) ;
Christie Malry règle ses comptes, 2004 (Christie Malry's Own Double-Entry, 1973, l’année du suicide de l’auteur) ;
Chalut, 2007 (Trawl, 1966 ) ;
le tout magnifiquement traduit de l’anglais par Françoise Marel (clap ! clap ! clap !) ;
et que je vais me hâter d’acquérir au grand dam de mon banquier sans attendre sagement le 2 février.
Quand on tape « B.S. Johnson » dans un moteur de recherche, on tombe immédiatement sur de l’ « english experimental novelist, poet, literary critic and film-maker » et autres présentations du même tonneau, bref, un peu de tout mais toujours « ex-pé-ri-men-tal ». Ce qui l’a sans doute soigneusement confiné à la littérature-prise-de-tête et les choses pas commerciales, les voiles, pauvre homme, malgré son succès critique indéniable.
Pourtant, le lecteur lambda (c’est-à-dire pas un {là, je me permets quelques lignes d'autocensure et j'évite de jouer ma vipère pour ne pas me faire égorger au cutter rouillé par mon attachée de presse}) qui a la chance d’ouvrir les pages d’Albert Angelo et de se plonger dans son univers à la fois sombre et électrisant serait bien en peine de sortir un qualificatif du genre « expérimental ». Ben voui, la belle affaire, pendant quelques pages, deux colonnes séparent le discours du héros-prof à ses élèves de ses pensées profondes. Vous voyez une éprouvette là-dedans, vous ? Cela ne semble-t-il pas, justement, traduire avec une grande simplicité formelle cette duplicité sociale ressentie par chacun au quotidien ? Un peu plus loin, la reproduction d’une carte de voyante. Mazette, c’est pas Laurence Sterne qui va se retourner dans sa tombe. Un peu plus loin encore, deux trous, dans la page, permettent de découvrir « le future de la fiction ». C’est pas gentil, ça, de donner au lecteur un peu d’avance ? De rendre le suspens un peu plus piquant ? Et dès l’orée, le plan, clairement annoncé, du livre : « prologue », « exposition », « développement », « désintégration », « coda ». On ne peut plus limpide, non ? Ah oui, d’accord, « désintégration » est très « méta » et parle du processus d’écriture et de mise à distance du biographique par la fiction… Personnellement, je trouve ça nettement moins « expérimental » comme expérience de lecture que la première merdasse dénichée par désespoir à 7 heures du mat’ (ou à 19 heures, juste après un Xanax) dans un Relais H avant un trajet de 5 heures, Ken plaquant Barbie qui, malheureuse, fait le point sur sa vie au passé simple (avec un usage plutôt douteux du subjonctif, m'enfin, passons) ce qui lui permet, un jour de printemps et après avoir enterré son père de rencontrer Blaine (Blaine ! pas le poète éponyme, hélas).
Bref, vous l’aurez compris, pour moi, B.S. Johnson est un grand écrivain de romans tout court. Pas un grand écrivain de romans expérimentaux.
« —La page est un espace sur lequel je dois pouvoir déposer les signes qui, d’après moi, transmettent le plus justement possible ce que j’ai à transmettre : j’utilise donc, dans les limites du budget de mon éditeur et de la patience de mon imprimeur, des techniques typographiques qui transgressent les limites contraignantes du roman conventionnel. Rejeter de telles techniques en les traitant d’artifices, ou refuser de les prendre au sérieux, c’est laisser passer l’essentiel. » (Albert Angelo, p. 180)
Albert est architecte. Mais en fait, il ne vend aucun de ses plans. Et d’ailleurs, il les rêve plus qu’il ne les exécute, ses grands projets architecturaux. Au quotidien, histoire de payer son loyer et les bières qu’il descend en cohortes avec son meilleur pote d’infortune (les deux ont été cocufiés/plaqués et sont inconsolables), il est professeur vacataire. Dans des collèges « difficiles ». Donc (Oliv’ et JB, lisez ce livre), il distribue des beignes entre deux exposés de géologie. Et il bande devant les fesses rebondies des filles de 3e à qui il prête tous les vices. Il envie presque ces « sauvageons » (ce n’est pas une citation de l’auteur, vous l’aurez compris) pour leur liberté inaliénable, leur absence de crainte face à toute forme d’autorité, professorale ou policière. Bien évidemment, au-delà de cette trame, ce qui importe, ce qui fait le sel et la terre de ce récit, c’est la plume de B.S. Johnson, acide et jubilatoire, passionnée et désabusée, n’hésitant même pas à offrir au lecteur une blague obscène en bonus track…
Je ne puis donc que vous conseiller impérieusement de toute la force de ma persuasion de vous ruer dans votre librairie bien-aimée et de lire fissa Albert Angelo.
Lekti-Lecriture.com a mis également en ligne un article très intéressant sur Chalut.
Et si vous lisez l’anglais sans douleur, vous pouvez également vous procurer ceci, dont j’ai emprunté l’illustration : Like A Fiery Elephant : The Story Of B. S. Johnson de Jonathan Coe (pas de réclamations, je précise que je n'ai pas goûté et approuvé ce dernier titre ; si certains connaissent, n'hésitez pas à m'en parler, j'ai toujours la flemme de lire en anglais, même pas ashamed...)
>> Ajout du 21 janvier :
Hourra ! La bio de B.S. Johnson par Jonathan Coe va être publiée, toujours par Quidam fin 2009/début 2010.
Et en octobre ou novembre – chez Quidam, toujours – vont paraître Les Malchanceux de B.S. Johnson, « le livre-boîte dont les 27 sections ou chapitres peuvent être battus comme des cartes et être lu(e)s selon l'ordre imposé par le hasard, le seul impératif restant de lire la section "Début" au début et la section "Fin" à la fin » m'explique l'éditeur, Pascal Arnaud.
C’est drôle, Emmanuel Rabu me rappelait hier qu’il m’avait parlé de ce livre, ainsi que de Albert Angelo il y a plusieurs années, enfin, pas précisement : il avait lu un article dessus et avait évoqué un livre troué et un livre sous forme de cartes combinatoires. En épluchant ses archives rougéennes, nous n’avions pas réussi à remettre la main dessus et donc à identifier l’auteur et les œuvres… Mieux vaut tard !
5 commentaires:
super super article ! waouuuuu…
Même en séchant ton cours de (quoif ?), ta force de persuasion est intacte, Laure, car tu m'as vraiment donné envie d'entamer mon découvert de ...février pour cet Albert AAAngelo.
Cécile
PS : le site de Quidam semble être en rade ("maintenance"), les liens ne sont donc pas encore accessibles.
Merci, Cécile, tu ne le regretteras pas.
"Même si c'est vrai c'est faux" disait Henri Michaux. En fait, nous touchons aux limites de la vérité et de l'autobiographique (très johnsonnien, d'ailleurs) car je ne suis jamais de cours de CAF...
J'imagine que Pascal Arnaud, l'éditeur de Quidam, doit être justement en train de mettre les fiches de présentation des nouveautés en ligne - ça marchait hier soir.
rroh mais ne devrais-tu pas faire un vrai faux petit effort pour les CAF ?
www.amg-lite.com/?view=http://www.fbbwomen.com/Irene/Pics/Irene0003.jpg
(Viens seulement de comprendre "caf", ça s'appelle l'esprit d'escalier et c'est bon pour les cuisses !).
Ouach ! ça y est ! Lu, dévoré, siroté Albert. Fini tout à l'heure-même dans le 85. Et complètement d'accord avec ce que tu en dis. Et cette fin (4-Désintégration), qui a l'air de rompre le truc et de rendre les armes, mais qui justement ne fait que poursuivre encore d'une autre manière. Pas «expérimental», non ; ni gratuits, les procédés. Exploration ouverte, ludique, mais vraie tentative, d’un écrivain ouvert, drôle (acide), pour atteindre une justesse, le voyant des coutures et l’apparence d’échec faisant partie de ce qu'il a à dire (et le narrateur, hein) sur l’écriture, et, un peu, sur l’existence.
J'essaierai les cartes!
Cécile quelques jours plus tard
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