Cocain Cola
… Où l’on découvre l’enfance malheureuse de Marlon Brando (icône kitch à ses heures), le taux de cocaïne contenu dans le Coca Cola d’origine, le complexe d’Œdipe négatif de Sade, les origines de Winnie l’Ourson, les culottes de golf et les concours de poésie qu’appréciait l’Empereur Hiro-Hito, les talents de Nancy Reagan en matière de fellation, le fusil à deux coups de Burroughs, l’admiration de Mussolini pour Mae West, la résolution du dilemme « nourriture ou sexe ? » (ne pas choisir), la carrière de footballeur ratée de F. Scott Fitzgerald, la blondeur naturelle d’Elvis Presley dissimulée sous sa teinture noire de héros de Comics, l’appétit sexuel de Einstein…
Balayage rétrospectif de notre siècle & beyond à renfort d’intelligence acérée et d’humour traversant le ciselage précis de formules efficaces – façon « la chapelle Sixtine de la punkitude » (sur Mad Max) ou « … nombreux {sont} ceux qui considèrent déjà Joyce et Proust comme la meilleure approximation du Valium. » –, Millénaire mode d’emploi fait le tour des mythologies et des icônes de notre époque pour mettre à jour une série d’éléments récurrents, obsessionnels, pouvant agir comme l’exosquelette d’une autobiographie possible de J.G. Ballard. Une autobiographie comme une galerie de portraits, de sujets de fascination, d’objets de désirs et de répulsion. La vision du monde à la fois euphorique (l’engouement de l’émotion esthétique) et cruelle (la cruauté de l’Histoire) d’un honnête homme non pas contemporain mais futur car résolument tourné vers la science-fiction.
Partie intégrante de l’œuvre et de la vie de J. G. Ballard, la science-fiction apparaît, selon lui, comme le seul horizon possible pour la littérature : « … je crois fermement que la science-fiction est la littérature authentique du XXe siècle et qu’elle est probablement la dernière forme littéraire qui existe avant la mort du mot écrit et la domination de l’image visuelle. » (p. 25). En revanche, les réalisations cinématographiques de sciences-fiction le laissent en général perplexe sauf quelques exceptions parmi lesquelles on pourrait citer Alphaville de Jean-Luc Godard ou La Jetée de Chris Marker, donnant lieu à des articles aussi précis que subtiles. J. G. Ballard est ainsi souvent tourné vers des extrapolations futures, parfois fantasques, souvent irrésistibles : « Une littérature invisible prolifère autour de nous aujourd’hui – télécopies, courriers électroniques, communiqués de presse et notes de service, obscurs romans d’aérogares habillés de couvertures métallisées, que nous remarquons à peine sur le chemin de la boutique hors-taxes. Un jour, dans un futur proche, lorsque le dernier siège de société aura été démoli et que nous gagnerons tous notre vie devant nos terminaux domestiques, des anthologies de notes de services du vingtième siècle seront peut-être aussi recherchées que la correspondance de Virginia Woolf ou de T. S. Elliot. » (p. 96)
C’est à travers cet esprit d’un humour tranchant au vif des hypocrisies et du mauvais goût que J. G. Ballard recompose les jalons de notre culture qui se mue en défilé bariolé de mythes, de dictateurs, de catastrophes, de chef-d’œuvres, de nanards, de héros, de célébrations, de tristes sires, de souvenirs, de bouffons, d’innocents… Outre cette sélection d’articles, Millénaire mode d’emploi se compose également d’un texte à proprement parlé autobiographique, « La fin de ma guerre », narrant l’enfance de J. G. Ballard dans un Shanghai tout juste libéré, en ruines ; un passage sensible et analytique, d’une facture rappelant celle de ses romans, dévoilant la matrice de nombreuses obsessions (également développée dans l’article consacré aux « espaces intérieurs » des écrivains).
Cette cosmogonie ne serait pas complète sans un glossaire en célébrant les icônes = « CHAPLIN – La grande réussite de Chaplin a été de discréditer le corps et de ridiculiser tout concept de la dignité du geste. (…) PASOLINI – Le sociopathe comme saint. (…) PROTHÈSES – Le complexe de castration élevé au niveau d’une forme d’art. (…) RÉPONDEURS – Ils nous entraînent patiemment à penser dans une langue qu’il leur reste à inventer. »
On aura compris – on le savait sans doute déjà – que J. G. Ballard est un auteur majeur, et plus encore, en ce qu’il parvient à faire se rencontrer l’exigence de la littérature avec une thématique qu’elle a trop longtemps relégué au rang de para- ou d’infra- par snobisme suranné : la science-fiction. Il fait œuvre des stéréotypes qui nourrissent notre quotidien – la violence, la technologie, la culture de la célébrité… – en en mettant à nu les rouages dans une langue d’une beauté grinçante, magnétique.
Millénaire mode d’emploi de J. G. Ballard, Éditions Tristram.
Note publiée dans La Revue Littéraire.
3 commentaires:
Y a-t-il corrélation entre le livre que vous évoquez et Millenium people qui sort ces jours-ci en Folio? Merci.
Ben, il s'agit en effet du même auteur, mais j'étais restée à l'édition de Denoël : http://images-eu.amazon.com/images/P/2207255999.08.LZZZZZZZ.jpg
J'avais écrit - ainsi que d'autres - des choses magnifiques (du moins pour moi) sur un forum, qui a aujourd'hui disparu de la surface du... heu.., non enfin qui n'est plus là.
Je disais ça par rapport à la littérature qui est disséminée sur le net et à laquelle personne ne prête beaucoup d'attention.
Je me demande si lorsqu'on aura de grands auteurs (ou considérés comme tel) dans le futur, qui auront fait leur dents sur Internet on cherchera tout les mails, notes, posts, blogs commentaires... qu'ils auront écrit sur le net pour les rassembler et les publier, comme l'on fait avec la correspondance des grands auteurs passés.
Il est possible qu'il y aura des débats et des spéculations pour savoir si tel commentaire, post, artcile etc. aura été écrit par Untel ou pas.
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