Le Travail de rivière #7
« Pour construire cette exposition, j’ai procédé par fouille archéologique de ma propre mémoire.
À la manière du chercheur d’or dans la rivière, j’ai opéré un travail de tamisage et de raffinage qui a distingué une galaxie d’œuvres toutes irréductibles à une lecture unique, porteuses d’une “légende”, questionnant la genèse des formes, la genèse de l’humanité. Le choix d’œuvres anciennes (1920, 1967…) et plus récentes met en avant ma fascination pour les formes fortes, simples et premières, “matériologiques”. Mais il ne s’agit pas d’un exposé des méthodes, car l’art reste avant tout un croisement de signes.
A-chronologique, cette proposition met en avant un intérêt pour les constructions humaines, les objets sourds, les œuvres reliques, un goût pour les vestiges. Ces œuvres ont une relation forte au temps et à la finitude, à l’origine et à l’éternité, nous ramenant au mystère et à l’énergie de la création des artistes. Elles disent le temps, milieu naturel de l’art, qui boucle sur lui-même, au sens où certaines formes du passé persistent, survivent au présent, demeurent et traversent les siècles vers le futur : le mythe de “l’éternel retour”.
Les œuvres exposées sont d’argile (mémoire de la forme), de graphite (le carbone offre l’élément de la plus ténue différence entre l’ordre animal, l’ordre végétal et l’ordre minéral), de silex taillé (depuis plusieurs centaines de milliers d’années), de plomb (saturne, astre fatal, maître du plomb et de la mélancolie), de poussière (poudre, particules de matière), de verre, de sable, de cristaux, de corail, d’ambre, de papier, de coquillage, d’encre. Autant de matières fondamentales et élémentaires, qui forment “la substantifique moelle” du répertoire naturel, des substances les plus brutes aux plus précieuses. C’est aussi pour le spectateur faire une expérience actuelle et sensible d’une origine perdue, qu’elle soit réelle, fantasmée ou inventée.
Le Travail de rivière revisite ses classiques en même temps qu’elle actualise des relevés naturalistes comme les empreintes, les fossiles ou les prélèvements géologiques, tout en collectant les traces ethnographiques que sont les masques, coiffes, cellules nomades. Autant de matrices formelles, artistiques, culturelles et intellectuelles. C’est une “collection de sable” au sens d’Italo Calvino : “rassembler une collection comme tenir un journal, c’est-à-dire un besoin de transformer le cours de sa propre existence en une série d’objets sauvés de la dispersion, ou en une série de lignes écrites, cristallisées en dehors du flux continu des pensées.”
Une exposition, au fond, qui avoue qu’elle peut être le fruit de l’imagination du collectionneur temporaire qu’est le curateur, et qu’à cet égard, elle peut s’inscrire dans un système de correspondances subjectives équivalent à celui de la collection. Une exposition qui se regarde à travers différentes strates, comme se révèle, au cœur de l’été, le lit d’une rivière asséchée. »
Claire Le Restif
Commissaire de l’exposition Le Travail de rivière
Au CREDAC, Ivry-sur-Seine
Œuvres montrées ci-dessus :
Hubert Duprat, Sans titre, 1994.
Giuseppe Gabellone, Vasca, 1996.
Nathalie Talec, Crampons, 2008.
{Cliquer sur les images pour les agrandir.}
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