jeudi, janvier 10, 2008

« C’est étrange parce qu’en entrant ici, j’ai cru que cette histoire faisait une boucle parfaite. Passons. »

« ÉPILOGUE

I am going to pass around in a minute some lovely, glossy-blue picture postcards.
Dans une minute je vous ferai passer plusieurs belles cartes postales sur papier glacé.
Voici la valise en cuir qui renferme la fameuse collection.
Rien dans les mains.
Rien dans les poches non plus.
Rien dans le chapeau non plus. Voyez. Mes manches.
Je me retourne, je fais un tour complet.
Comme vous pouvez le voir, il n’y a aucun truc, pas de trappe cachée, pas de jeux de lumière trompeurs.
La valise repose sur cette chaise-ci.
J’ouvre la valise avec cette clé qui passe partout, si vous me permettez la plaisanterie.
La première chose que nous trouvons dans la valise, par-dessus tout, c’est – devinez – une paire de gants.
Les voici.
Des gants de peau.
Du grand luxe.
J’enfile les gants – le gauche… le droit… une coupe… parfaite.
Cela me rappelle…
Un jeune artiste perdu dans l’élégant Berlin de la Belle Époque, seul, vainement en quête de plaisir. Passe un bruyant groupe de patineurs, et une femme de blanc vêtue laisse tomber son gant, un gant cousu de six boutons fourrés, blanc, long, parfumé. Le jeune homme se précipite, ramasse le gant, mais se demande s’il doit ou non relever le défi. Finalement, il choisit de l’ignorer, met le gant dans sa poche et rentre à pied à son hôtel, par des rues mal éclairées.
Mais je m’éloigne de mon propos de ce soir. Plus tard, s’il nous reste du temps, je conclurai cette histoire fantastique, dans laquelle intervient même un char de Neptune, une chauve-souris gigantesque qui toujours fuit et sourit, ainsi qu’un océan de feuillages.
Qui sait si ce n’est pas exactement ce gant-là ? Cela dit nous avons ici non un gant, mais la paire ; ils sont très délicats et contrastent avec ce costume noir.
La mallette en cuir contiendrait-elle des affaires de toilette ?
Non, mes amis.
Comme vous pouvez le voir, grâce à la légère rotation que j’opère sur la chaise où elle se trouve, la valise ne contient que du papier… des cartes postales… des dizaines, des centaines, peut-être de cartes postales.
Étrange mallette !
Et maintenant, attention.
De mes mains gantées – le temps de boutonner l’un… puis l’autre… soigneusement… pas de triche… j’ajuste les poignets, voilà… – maintenant de ces mains, au hasard, je tire la première carte, que je contemple un moment sous la lumière… il y a un reflet… mais j’y vois une jeune fille noyée dans les joncs… voici la première carte postale, s’il vous plaît, faites circuler… deuxième carte : l’Avenida Atlântica… faites passer… une cadillac à Acapulco… Carmen… le Centre Pompidou… une église en Alabama… un château vu du levant… deux cupidons aux lunettes noires… le voleur de bijoux et la duchesse… et celle-ci, Fred Astaire en Lady Be Good, ou pas de facéties, petite… nostalgique… et une Marilyn, et ici la plage de Clacton avec son bingo et ses fis hand chips… le Boeing d’Air France… des tramways grimpant la côte à San Francisco… un ours polaire au zoo de Barcelone… Salomé… Londres… une autre Salomé… faites passer, faites passer.
Mes amis, ceci est une mallette, pas un chapeau à lapins… »

Extrait de Gants de peau & autres poèmes de Ana Cristina Cesar, traduit du brésilien par Michel Riaudel. Chandeigne éditeur, 2005.

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