Fatigue > stress > burn out : début de lexicologie
Un article de Giulia Foïs dans Libération de ce jour : Stress, les mots qui font le mal
Des études en rafale, des livres en cascade, des statistiques en veux-tu, et des Observatoires nationaux en voilà : plus que jamais, le stress délie les langues et les plumes. Les sociologues sont à son chevet, les syndicats s’en inquiètent, et le ministre du Travail, Xavier Bertrand, vient d’en faire une priorité de santé publique. Oui, le stress au travail est la grande question de l’année. Serait-il pour autant le «mal du siècle», selon la formule consacrée ?«Non, c’est surtout un mot à la mode,répond le sociologue Marc Loriol (1) . Depuis que l’homme travaille, il peut souffrir d’épuisement, de perte de motivation, d’anxiété pour des raisons diverses… Les symptômes restent, peu ou prou, les mêmes et seules les étiquettes changent.» Les modes passent, les maux restent, mais les mots comptent pour se faire entendre. Et certains sont plus porteurs que d’autres. Rembobinage.
La fatigue des philosophes
Les Lumières ont éclairé d’un jour nouveau la notion de fatigue. Les philosophes, et Rousseau le premier, commencent à distinguer bonne et mauvaise fatigue. La première est liée aux activités de plein air, alors en plein essor dans la haute société. Plébiscitée, elle est vue avant tout comme un remède à l’irritation et la lassitude dont souffrent les autres, ceux qui restent au contraire travailler en ville. Victimes, eux, de la mauvaise fatigue. Le concept a plu. Au XIXe siècle, les scientifiques se sont jetés dessus : «Ils voulaient déterminer des critères objectifs pour diagnostiquer et traiter la fatigue,raconte Marc Loriol. Mais elle leur a échappé, se révélant trop complexe, et surtout trop subjective.» La science s’en est donc détournée. Le mot est retombé dans le langage courant. Et le mal est devenu commun. Selon les statistiques, 50 % à 60 % de la population souffriraient aujourd’hui de fatigue persistante. Trop banal pour être digne d’intérêt.«Et très mal vu par les temps qui courent, s’amuse le sociologue. Celui qui se dit fatigué est immédiatement soupçonné de paresse.» A l’heure du «travailler plus», ça fait sans doute un peu tâche…
La neurasthénie des industriels
«L’accélération des modes de communication oblige les hommes d’affaires à être plus réactifs. Les rapports sociaux de plus en plus soutenus supposent de réprimer ses émotions naturelles. Le mouvement du progrès exige de se projeter en permanence dans le futur.» Le constat ne date pas d’hier : il est dressé, en 1869, par un médecin new-yorkais, Georges Beard (2). En pleine révolution industrielle, il s’inquiète des pressions exponentielles qui pèsent sur les chefs d’entreprise. Il trouvera un nouveau mot pour qualifier l’épuisement nerveux dont ils souffrent : la neurasthénie. «A l’époque de l’électricité, les nerfs fascinent, explique Marc Loriol. Ils sont décrits comme un réseau qui transporte l’énergie à travers les corps. Cependant, le mot finit par passer de mode quand les médecins se rendent compte qu’il ne concerne pas seulement l’élite sociale, mais également les paysans ou les ouvriers.» La neurasthénie perd de son panache. Il faudra trouver autre chose.
Le stress des cadres
Depuis son apparition dans les années 30, le concept de stress a connu un succès phénoménal : aujourd’hui, 75 % des Français se disent stressés au travail, toutes catégories socioprofessionnelles confondues (3). «Comme les autres, le terme a séduit parce qu’il était rattaché au départ aux classes dirigeantes, rappelle le sociologue. Sans compter qu’un mot anglo-saxon sonne toujours mieux… Du coup, celui qui ne se dit pas stressé est éminemment suspect.» Flemmard. Ringard. Et tant pis si on ne sait pas très bien de quoi on parle. «On a essayé de décrire scientifiquement le stress. Mais là encore, le ressenti de chacun intervient tellement que le consensus satisfaisant est impossible.» Les travaux sur le sujet ont débouché sur une définition a minima : le stress est une réaction biologique de l’organisme à toute stimulation extérieure. Difficile de faire plus vague, donc tout le monde s’y engouffre. Difficile de faire plus réducteur aussi : «Le salarié est seul responsable de son état : sa réaction à ses conditions de travail est inadaptée. Sa faiblesse psychologique est en cause, pas l’organisation de l’entreprise. Ce qui arrange tout le monde.» Les experts mandatés sur le sujet par Xavier Bertrand avaient opté pour le terme de «risques psychosociaux». Les effets décrits sont les mêmes, mais l’environnement du salarié est pris en compte. Peine perdue : les médias ont préféré parler d’un rapport sur «le stress au travail». Ah ! la mode…
Le «burn out» des avant-gardistes
Qu’on se le dise, le burn out sera aux années 2000 ce que le stress était au siècle précédent : résolument tendance. D’abord parce que ça vient des Etats-Unis, donc ça en jette. Des psychiatres américains ont emprunté l’expression à l’aérospatiale dans les années 60 : comme une fusée retombe après avoir brûlé tout son carburant, le sujet n’a plus d’énergie pour rien, parce qu’il en a trop donné. Depuis une dizaine d’années, le mot s’impose en France. Il concernait au départ des secteurs précis : personnel soignant ou enseignant, policiers, pompiers… Mais l’étiquette distingue, donc on veut en être. «Lorsqu’on est en souffrance, se raccrocher à un groupe d’individus permet de trouver un sens à son mal-être, conclut Marc Loriol. On souffre des mêmes maux, on parle le même langage. C’est mieux encore si ce groupe jouit d’un certain prestige. Permettant une forme de distinction sociale, les mots offrent aussi de la reconnaissance.» Résultat, aujourd’hui tout le monde est en burn out. Même les mères de famille, si l’on en croit les féminins.
(1) Au-delà du stress au travail, collectif. Ed. Eres. (2) Cité par Marc Loriol dans Je stresse, donc je suis. Ed. Mots et Cie. (3) TNS Sofres, juillet 2007.,
2 commentaires:
J'annonce aujourd'hui fièrement quoique simplement la création de l'ACT - l'association contre le travail - militant pour l'instant seulement quoique non exclusivement pour le RUG - revenu universel de glande.
Qui m'aime me suive et que les autres aillent se faire foutre. Pour tous, des bisous, et surtout à Laureli qui est la plus belle.
Oh, c'est gentil !
Je m'inscris sans même réfléchir - une pulsion du dimanche soir - qui peut se reproduire le lundi matin, mardi à 15 heures, mercredi à 11h22... mais à l'heure d'été, c'est déjà beaucoup mieux.
Des bises !
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