Plein jeux
… Tel est le titre de la dernière pièce de Pierre Henry, magnifique, qu’on pouvait écouter à la Cité de la Musique jeudi dernier, ainsi que La Grande Toccata, La Noire à soixante et Granulométrie, dans un dispositif sonore impressionnant, le maître à la table.
Bon, je le dis d’emblée histoire de m’en débarrasser, je suis nettement moins fan du jeu de lumières accompagnant la musique. Et puis je suis allergique aux fumigènes. J’en imagine bien la fonction ; ce travail lumineux peut servir de support visuel à un public très jeune (façon féerie des eaux au Rex) ou peu averti, soulignant les architectures musicales, appuyant les effets. Mais bon… L’avantage étant néanmoins qu’on peut fermer les yeux pour s’en passer ce qui est tout de même fort pratique et a d’ailleurs été fort pratiqué.
La Noire à soixante (1961) est, selon Pierre Henry, un « essai de structuration subjective du temps » et un « conditionnement rythmique à la mesure de chaque auditeur ». Bref, le fantasme de chaque musicien : pulvériser le métronome, carcan à la fois douillet et détesté. Le diffracter, mais en post percussionniste, en multipliant les battements dans une grande économie de moyen dont le classicisme rappellerait le projet du Clavier bien tempéré, par exemple. C’est une œuvre qui subdivise le temps en en conservant la logique, qui le provoque et en célèbre l’inéluctabilité. Une présence aussi indissociable qu’une ombre avec laquelle on joue, lui imprimant des formes décidées.
Granulométrie (1967) est une autre œuvre mythique, en ce qu’elle concrétise la rencontre de Pierre Henry et de François Dufrêne. C’est donc une pièce violemment expressionniste (comparée au "classicisme" de La Noire à soixante) qui se concentre sur le travail vertigineux de la voix : cris, murmures, borborygmes, râles… L’un de mes voisins de rangée en trouvait la facture un peu vieillie. Moi, pas du tout. Écouter Granulométrie avant ou après une pièce de Mike Patton, par exemple (je parle évidemment des pièces expérimentales), on aurait presque du mal à les dater. De surcroît, la rencontre des univers à la fois proches (la musique concrète/la poésie sonore) et distants (la voix, brute/la recherche sonore, symbolique) crée une alchimie profuse et sensible : la tension de ces deux extrêmes module une outrance éloquente, terriblement sensible.
Enfin, concernant Plein jeux, pièce en cinq mouvements (« Pressentiment », « Expérience », « Croissance », « Plénitude ») je vais citer Pierre Henry : « Une polyphonie de claviers, une miniaturisation de motifs musicaux exécutés sur un piano sont les principaux paramètres de cette composition.
Plein jeux est une aventure esthétique vécue comme une expérience intérieure : combat/exaltation, intensité/rythmicité, repos/pulsation. Je tente ici une réalité temporelle sans cesse recommencée. Pour moi, et en contradiction avec Gaston Bachelard, le réel est continu. »
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