Ne cherchez pas mes brouillons, ils sont tous imprimés
… en amont de cette table-ronde à la BNF, je m’étais penchée sur cette question épineuse de l’intime – comme le souligne très bien Patrick Rebollar dans son intervention en parlant d’ « effets d’intime » à défaut de traquer de l’intime pur jus – dans rougelarsenrose qui, justement, déjoue sans cesse cette question par une ouverture permanente vers des matériaux extérieurs à la débauche de je et de moi…
Dans la mesure où, comme on l'a compris, ceux qui n’en auront pas été gavés sont un peu restés sur leur faim jeudi dernier, voici – après quelques hésitations – le brouillon de mes réflexions. La cause génératrice n’en est que le prétexte, finalement. Je me suis dit que ces quelques notes descriptives et désorganisées pourraient fonctionner comme une sorte de plan (évidemment lacunaire et déjà obsolète…) au sein de l’organisation temporelle du blog, un miroir de son activité.
La lassitude du moi, l’absence de partage, de lecture, de retour m’avait toujours fait abandonner mes projets de journaux au bout de quelques semaines ou quelques mois… Mais la méfiance envers la surabondance narcissique cache justement un désir égotiste de cerner et exposer ce moi – dans ses diverses facettes. Cette résolution-ci se poursuit donc depuis presque 2 ans à présent, justement grâce à la diffusion de l’outil (et la pression qu’elle engendre).
L’écriture de mes quelques brèves tentatives de journal diffère beaucoup de l’écriture de mon blog. Elle est moins écrite, plus épanchée – plus désagréable à relire, avec du recul (d’ailleurs je crois que la plupart des tentatives ont fini à la corbeille). C’est un instantané clinique ayant fonction cathartique.
En revanche, ROUGELARSENROSE se veut un objet plus complexe, développant plusieurs axes :
a- les notes de lecture : un journal littéraire
b- l’intime : forcément , inévitablement…
c- une écriture en parallèle de l’écriture (complémentaire ? pivot ?)
d- un horizon musical
e- les liens hypertextes (les voyages transversaux)
f- les possibilités multimédias
a- les notes de lecture : un journal littéraire :
ROUGELARSENROSE est, avant tout, un journal de lectures. Un lieu d’exposition de textes lus, soit par le biais de citations plus ou moins longues, soit par celui de textes de commentaire sur ces ouvrages – souvent, le commentaire succède aux citations selon le rythme même de la découverte du livre.
Je ne me dis pas, professionnellement, « critique littéraire » (ça m’est arrivé lors de quelques moments d’abois Assedics… j’avoue… ça ne les a d’ailleurs guère résolus…), même s’il m’arrive d’écrire dans certaines revues critiques. Donner à lire sur mon blog gratuitement, sans enjeu de pouvoir, des textes sur des textes me semble constituer l’acte le plus « intime » de ce blog… : une lecture, en temps réel, d’une impression de lecture. Un portrait diffracté de mes goûts et découvertes littéraires.
Mais surtout, les livres dont je parle forment une constellation signifiante dans le sens de la défense d’une littérature exigeante, se posant des questions, en posant au lecteur, déstabilisant, dérangeant, comme le « LARSEN » du titre du blog : un bruit, un souffle, une vibration, un cri dans le flot des mélodies sirupeuses. Une littérature polémique et non consensuelle. ROUGELARSENROSE se voudrait un « vaisseau » de partage d’informations et de déstabilisation formelle.
On peut donc dire que ce blog fait partie intégrante de mes autres œuvres écrites, construisant un monde, un horizon formel.
Un « art bloggeur » (comme on dit « art poétique ») développé, par exemple, dans ce post du 30 décembre 2005.
En guise de carte de la constellation, voici un relevé (évidemment déjà obsolète dès sa publication…) des textes « critiques » publiés sur le blog :
Sur Anne-Marie Albiach : sur Figuration de l’image (27/04/05), un extrait d’Anawratha (08/03/06), un autre extrait d’Anawratha (30/11/06)
Glitter Lester, sur les livres de Lester Bangs (20/05/05) et sur Lester Bangs en général (18/02/06)…
Sur Georges Hassoméris (01/06/05)
Extrait de Chroniques des quais de David Wojnarowicz (30/07/05)
Sur Volume de Orion Scohy (26/07/05)
Sur Yapou bétail humain volume 1 de Shozo Numa (20/09/05) et sur le Prix Sade attribué à ce livre (18/11/06)
Sur Charles Pennequin (05/09/05)
Sur le Journal de mes sons de Pierre Henry (16/10/05)
Sur Star Trek, la série originale – Hé ouais (16/11/05) et sur les séries télé en général (08/04/06)
Sur R. de Céline Minard (02/11/05) puis sur La Manadologie, du même auteur, ici (découverte, 01/04/06) et là (commentaire, 19/04/06), puis annonce de son livre Le dernier monde
Citations du Manifeste contra-sexuel de Beatriz Preciado (08/12/05)
Sur Éric Meunié, citation d’Auto mobile fiction (09/12/05), texte sur le même livre (22/12/05), citation de Poésie complète d’Éric Meunié,et citations croisées avec Comment faire disparaître la terre ? d’Emmanuel Pireyre (31/12/05)
Citation de L’Éternel retour de Michel Surya (10/12/05) puis commentaire (06/12/06)
Sur le travail de bande-dessinée réalisé par Jean-Jacques Rabu avec son personnage Fat Punky – scénarios Emmanuel Rabu (07/01/06)
Sur Gilles Barbier, plasticien (12/01/06).
Sur Oswaldo Gonzalez, photographe (17/01/06)
Sur Kathy Acker : extrait de La vie enfantine de la tarentule noire par la tarentule noire (19/01/06), extraits de Grandes espérances (16/07/06), sur Grandes espérances (25/08/06)
Sur un dessin de Béatrice Cussol (25/01/06)
Citation d’un texte de Daniel Foucard paru dans la revue Inculte 8 (26/01/06)
Citation de Millénaire mode d’emploi de J.G. Ballard (08/02/06) puis sur le même livre (26/03/06)
Citations de Mobiles de Vannina Maestri (10/02/06)
Citations de Christophe (le chanteur), 25/02/06
Citations d’Hélène Bessette : Ida ou le délire le 05/03/06,, Garance rose le 16/03/06, maternA le 10/06/06, Suite Suisse, le 26/11/06
Sur « Page 48 », un blog de Pierre Ménard & citation de la p. 48 de Roses & Poireau de Arno Schmidt, (12/03/06) puis sur Goethe et un de ses admirateurs de Arno Schmidt (01/05/06)
Sur L’argent, l’urgence de Louise Desbrusses (14/03/06)
Sur le site Coming-in créé par Stéphane Bérard (25/03/06)
Sur À vif de Jean-Paul Curnier (25/04/06)
Citations de Cavale de Nathalie Quintane (09/05/06) et commentaire (21/05/06)
Sur Henry Darger (26/05/06)
Sur Clément Rosset (16/06/06)
Sur et citations de Bardadrac de Gérard Genette (20/06/06)
Sur l’audioblog de Emmanuel Rabu & Sylvain Courtoux, confusion is text (17/09/06)
Sur Billy The Kid de Luc Moullet (21/09/06)
Poésie cœur de cible : lettre-vidéo à Julien Blaine (06/10/06)
Sur King Kong théorie de Virginie Despentes (11/10/06)
Sur Joël Hubaut, Re-mix épidémik Esthétique de la dispersion (29/10/06)
Extrait du Journal de Kurt Cobain (01/11/06)
Sur Matachine de Bruno Lemoine (01/11/06)
Sur l’opéra de Sylvain Courtoux : Vie et mort d’un poète de merde (03/11/06)
Sur la revue franco-allemande La Mer Gelée (04/11/06)
Ali G, vidéos, notamment avec Noam Chomsky (05/11/06)
Extraits de Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige d’Alban Lefranc (12/11/06)
Sur C’est mon vocabulaire qui m’a fait ça (traduction Éric Suchère, préface Nathalie Quintane) de Jack Spicer (20/11/06)
b- l’intime :
La subjectivité, l’intime n’apparaissent évidemment pas seulement à travers le prisme des notes critiques. Le blog est l’occasion d’un jeu de cache-cache avec les lecteurs à travers la dissémination d’informations personnelles et factuelles, la présence des photos et autoportraits ainsi que quelques private jokes se tentant polysémiques – ne recelant pas un simple intérêt to the happy few, du moins je l’espère (exemple le titre de post « love your enemiEs » le 4 septembre 2005 – avec le « e » majuscule de sa destinataire – qui parle en fait de la musique de Daniel Johnston ou encore on se calme et on boit frais le 15 septembre 2005, commentant le terme « poétesse » – suite à cette dénomination qui m’avait été donné dans un article de Libé – ou encore « message personnel » le 22 novembre 2005, à la fois chanson de Françoise Hardy… et message personnel…)
« Même si c’est vrai c’est faux » écrit Henri Michaux dans Plume.
L’intime est subrepticement dévoilé, avant d’être caché derrière autre chose, afin que l’on se demande sans cesse ce qui est vraiment de l’ordre de l’intime et ce qui ne l’est pas… comme ici.
Ce post est un parfait exemple de la prétérition à l’œuvre dans le blog : dire sans dire, l’effacement qui révèle, le masque transparent… L’air de rien, il dénonce nombre de mes pseudos utilisés par le passé (et dont on peut donc ainsi retrouver les productions) ainsi que mon véritable état-civil – avec tous ses prénoms de baptême.
On trouve aussi, souvent des textes frontières entre note critique et “autofiction”.
ROUGELARSENROSE recompose ainsi un journal à travers :
- le rappel des origines et des généalogies ;
- l’écriture d’états d’âmes, voire de coups de gueule ;
- la localisation géographique (les voyages, les lectures en province, etc.) ;
- la retranscription d’événements personnels (soirée, concerts, week end…) ;
- les reliefs quotidiens ;
- les posts qui s’excusent de ne pas nourrir le blog plus fréquemment en en donnant les raisons (professionnelles ou estivales) ;
- le sous-titre du blog, “versatile” = changeant, instable, susceptible d’évoluer, soumis aux fluctuations de la vie.
Outre la dissemination labyrinthique de ces informations personnelles, l’intime reside dans les photos exposées, plus particulièrement à travers la pratique de l’autoportrait.
c- une écriture en parallèle de l’écriture
ROUGELARSENROSE se développe pendant l’écriture de livres.
Le blog fait donc écho des nouvelles de publication et reflète parfois l’univers des livres, donne la circonstance de trouvailles de citations, par exemple, sans pour autant dévoiler le work in progress – jamais d’extraits destinés à être publiés, en cours d’écriture.
Par la suite, j’ai préféré séparer la fonction que l’on pourrait nommer « de communication » autour de mes propres livres de l’écriture du blog en créant deux autres interfaces, toujours blogs :
Le très explicite NARCISSOSHOW :
qui fournit ma biobibliographie ainsi que les articles de presse des articles consacrés à mes livres publiés.
Un titre cash pour un contenu qui l’est tout autant : l’exposé du je littéraire, médiatisé. Rien de très neuf, néanmoins, dans le domaine des sites personnels d’auteurs. C’est la face « pratique » du système.
Et le blog FONCTION ELVIS, créé comme une espèce de carnet d’écriture (comme on dit carnet de tournage) et de publication du livre. En retraçant certains déclics d’écritures, références, en exposant des variantes, des articles, des liens vers des émissions de radio, en montant des images iconiques, etc.
d- un horizon musical :
L’univers esthétique développé dans ROUGELARSENROSE ne s’arrête pas à la littérature mais évoque aussi la bande dessinée, les séries télé, la musique…
Ainsi la citation d’une chanson du groupe Stéréo Total, en écho et clin d’œil à un post précédent du même mois : « Nous ne sommes pas tous des romantiques allemands » ; ou encore diverses annonces d’actualités, de sorties, de concerts, etc.
Néanmoins, le blog tel que je le développe dans ROUGELARSENROSE m’a semblé limité pour faire découvrir des musiques que j’aime, tout simplement à cause d’une restriction technique : la possibilité de faire entendre des musique, en général non libre de droits.
C’est pourquoi, en ce domaine, je me suis tournée vers myspace musique, explicitement consacré aux échanges musicaux, avec l’accord des artistes.
e- les liens hypertextes (les voyages transversaux) :
ROUGELARSENROSE tente de s’inscrire dans une circulation permanente et offre donc de multiples possibilités de fuite de l’interface, à travers :
- les liens indiqués en permanence à droite du blog ; il y en a peu, néanmoins, car leur accumulation me semblait peu claire, j’ai donc créé :
- un répertoire de liens, classés par thématiques, sur delicio.us, permettant de découvrir des sites dans les domaines ou dénominations indiquées.
- enfin, souvent, les articles comportent des liens hypertextes particuliers. Comme exemple superlatif le post Pendant ce temps : chaque mot de la phrase : « Balade du dimanche » comporte un lien hypertexte.
f- les possibilités multimédias :
La possibilité de montrer des vidéos est expérimentée de manière assez acrobatique (je n’avais trouvé aucune solution automatisée, à l’époque, sur Mac) le dimanche 28 août 2005.
Cette vidéo-là montre un fragment d’espace personnel, une sorte de mémento mori un peu absurde sur fond de radio – un instantanné, donc.
De plus, il n’est pas anodin que dans ce blog pour la majorité consacré à un discours sur l’écriture, la littérature, ce soit cette petite vidéo de très basse résolution qui soit considéré comme un “moment poétique”.
Par la suite, les vidéos seront postées de façon beaucoup plus simple et spontanée depuis dailymotion ou youtube.
ROUGELARSENROSE, comme son titre, constitue une tentative de rencontre d’objectif et de subjectif.
L’objectif du LARSEN, qui surgit quand on ne l’attend pas pour troubler la mélodie.
Le subjectif du choix des couleurs, ROUGE et ROSE, des couleurs incarnées, girlies, brandies.
2- Le déplacement de l’intime ? Vers…
L’écriture !
… le même doigt qui montre la lune… ROUGELARSENROSE expose des extraits de textes autonomes, écrits en parallèle des livres. Des instantanés d’écriture.
3 - Autres détournements d’outils : la revue AMBITION, le blog UNDERGROUNDZERO
- AMBITION : une revue-blog :
Tout d’abord le titre : tout comme NARCISSOSHOW, AMBITION se voulait un titre ironique, en rapport à la prolifération d’interfaces consacrées à la diffusion, tous azimuts, d’écritures sur le web. AMBITION dit ce qu’elle dit en le disant : on veut écrire, on veut être lu et on le montre.
On ne m’a dit qu’après qu’il s’agissant aussi du titre d’une émission de Bernard Tapie dans les années 80… J’étais sans doute trop jeune pour m’en souvenir et/ou cette émission était diffusée sur l’une des chaînes qui n’était pas diffusée en Corse à cette époque-là. Bref, à chacun ses références.
AMBITION montre des travaux sur tous supports, des espèces de face B pour les artistes qui y sont invités : en général, les écrivains y montrent des vidéos, les vidéastes des textes, etc. Le dispositif d’AMBITION comprend également une interface BIOBIBLIOGRAPHIE afin d’avoir accès aux autres œuvres des artistes, ainsi qu’une rubrique LIENS IDEAUX - comme on dit « bibliothèque idéale » - chaque invité donnant une liste de sites à visiter.
Il n’est pas anodin que nombre de travaux montrés se rapportent à l’intime. Ou, tout du moins, miment un jeu autofictionnel. Par exemple, dans une certains mesure, la vidéo de Céline Minard ou le texte de Raymond Federman et celui de Lucille Calmel.
La parution de la revue est aléatoire, au rythme des friches temporelles pouvant subsister deci-delà…
- UNDERGROUNDZERO :
Ce blog détourné – à nouveau – collectait des écrits prélevés dans le métro, par-dessus l’épaule des voyageurs. Une espèce de journal objectif puisqu’il retraçait très précisément (avec mention d’heures et de stations de métro) tous mes déplacements. L’expérience s’est déroulée pendant un temps donnée, la contrainte étant difficile à tenir sur plusieurs mois sans devenir complètement obsessionnelle…
2 commentaires:
Laure, tu as très bien fait de mettre en ligne ce que je viens de lire dans le train entre Paris et Clermont (le texte imprimé que tu m'as donné jeudi), drôle d'impression d'ailleurs de lire une écriture de blog (gazeuse par essence) sur du papier.
Pour ma part je crois que je vais essayer de passer à autre chose parce que la fatigue de ce débat, causée par ces vieilles personnes qui appréhendent le monde connecté seulement au travers de la lecture du "Monde" papier, ces peigne-culs m'épuisent, alors je crois que je retourne définitement à mon état gazeux.
Amicalement
Philippe De Jonckheere
Cher Philippe,
Merci pour ton commentaire - c'est de surcroît une pièce rare, je crois. Je l’en apprécie d’autant plus.
Je n’ai pas non plus envie de revenir sur le dialogue un peu absurde de la semaine dernière… mais j’ai suivi ton conseil en publiant mes notes préparatoires qui me semblaient, en outre, constituer une étape spéculaire de rougelarsenrose : c’est la première fois que je regarde par-dessus mon épaule…
À bientôt !
Amitié,
Laure
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